Nuit d’Agapes
Le moment venu, le roi Salomon déclarait
A ses ouvriers qu’il voyait tailler la pierre :
Nous allons mettre en commun, l’ail, le vin et le pain,
Et festoyer tous ensemble. Je descendrai de mon trône,
Et tous les frères devront venir à ces agapes,
En tant que Compagnons, ni plus, ni moins !
Qu’on envoie promptement une chaloupe à Hiram de Tyr,
Lui qui assure l’abattage et le transport sur les flots
De nos arbres si beaux. Dites-lui, que les Frères et moi
Désirons parler avec nos Frères qui naviguent sur les mers,
Et que nous seront heureux de les rencontrer à ces agapes,
En tant que Compagnons, ni plus, ni moins !
Qu’on porte aussi le message à Hiram Abib,
Le Grand Maître des forges et des mines :
Moi-même et les Frères, nous aimerions qu’il soit possible
Que lui-même et ses Frères viennent à ces agapes,
Portant riches décors ou simples vêtures,
En tant que Compagnons, ni plus, ni moins !
Dieu a assigné à chacun sa place : au cèdre majestueux,
A la modeste hysope, et au mûrier sauvage, au figuier
Et à l’aubépine… mais cela n’est pas une raison suffisante
Pour reprocher à un homme, de n’avoir pas réussi à être,
Ce à quoi il n’était pas nécessairement destiné !
Et à propos de notre Temple, je maintiens et j’affirme :
Nous ne sommes que des Compagnons, ni plus, ni moins !
Ainsi il ordonna, et ainsi il fut fait.
Et les Coupeurs de Bois, et les Maçons de Marque,
Avec les simples matelots de la flotte de Sidon,
Et les amiraux du Royal Arche,
Vinrent s’asseoir et se réjouir à ces agapes,
En tant que Compagnons, ni plus, ni moins !
Dans les carrières, il fait encore plus chaud
que dans les forges d’Hiram,
Nul n’y est à l’abri du fouet du gardien.
Le plus souvent, il neige sur la passe du Liban,
Et le vent souffle toujours, au large de la baie de Jaffa.
Mais quand le moment est venu, le messager apporte
L’ordre du roi Salomon : alors oublie tout le reste !
Que tu sois Frère parmi les mendiants, l’ami des rois
Ou l’égal des princes, oublie tout cela !
Seulement Compagnon ! et oublie tout le reste.
D‘après R.K. – Traduction M.R.
Banquet Night
Once in so often, King Salomon said,
Watching his quarrymen drill the stone :
We will club our garlic and wine and bread
And banquet together beneath my throne,
And all the brethren shall come to that mess,
As Fellow-Craftsmen, no more, no less !
Send a swift shallop to Hiram of Tyr,
Feilling and floating our beautiful trees,
Say that, the Brethren and I, desire
Talk with our Brethren who use the seas.
And we shall be happy to meet them at mess
As Fellow-Craftsmen, no more, no less !
Carry this message to Hiram Abid,
Excellent Master of forges and mines :
I and the Brethren would like it if
He and the Brethren will come to dine,
Garments from Bozrah or morning dress,
As Fellow-Craftsmen, no more, no less !
God gave the cedar and hyssop their place
Also the bramble, the fig and the thorn,
But that is no reason to black a man’s face
Because he is not what he hasn’t been born.
And as touching the Temple, I hold and profess :
We are Fellow-Craftsmen, no more, no less !
So it was ordered, and so it was done,
And the Hewers of Wood and the Masons of Mark,
With the fo’s’le hands of the Sidon run,
And navy Lords from the » Royal Ark « ,
Came and sat down, and were merry at mess,
As Fellow-Craftsmen, no more, no less !
The quarries are hotter than Hiram’s forge ;
No one is safe from the dog-whips reach.
It’s mostly snowing up lebanon gorge,
And it’s always blowing off Joppa beach ;
But once in so often, the messenger brings
Salomon’s mandate : Forget this things !
Brother to beggars and fellow to kings,
Companion to Princes, forget these things !
Fellow-Craftman, forget these things !
Rudyard Kipling
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Ce 14 Juillet 2016, la Marseillaise a résonné place de la Concorde, et on a pu entendre certains commentateurs évoquer son histoire… avec moult omissions, ou plus grave, erreurs !
Alors, pourquoi pas tenter de rétablir quelques faits…
Œuvre de circonstance qui allait connaître une destinée exceptionnelle, née un peu avant la fameuse « carmagnole », la « Marseillaise » trouve son origine dans une tradition : à la demande du maire de Strasbourg, le baron de Dietrich, un officier de l’armée républicaine, Rouget de Lisle, écrivit les paroles d’un chant de guerre pour l’armée du Rhin et en improvisa l’aire sur son violon dans la nuit qui suivit la proclamation de la guerre, celle du 25 au 26 Avril 1792 .
L’épouse du maire ajouta une partie de clavecin à la mélodie de Rouget de Lisle. Ainsi fut donc créé ce chant de guerre chez les Dietrich !
On sait que, devenue célèbre à paris après le 10 Aout sous le nom de « hymne des Marseillois », la Marseillaise fut chantée dans la France entière puis à travers l’Europe par les armées de la Révolution et de l’Empire.
Remarquons qu’à cette époque, on chantait : marchez, marchez et non marchons, marchons… et également que ne figurait pas le 7ème couplet, dit « des enfants », qui n’est pas de Rouget de Lisle ( ni de Marie-Joseph Chénier comme on l’a parfois affirmé) : ce couplet semble avoir été écrit dès juillet 1792 par l’abbé Pessonneaux pour ses élèves du collège de Vienne ( Isère) :
Nous entrerons dans la carrière
Quand nos aînés n’y seront plus
Nous y trouverons leur poussière
Et la trace de leur vertu.
Bien moins jaloux de leur survivre
Que de partager leur cercueil
Nous aurons le sublime orgueil
De les venger ou de les suivre
.
Ainsi dit l’histoire…Ce couplet supplémentaire mis à part, on peut quand même s’interroger sur les conditions dans lesquelles Rouget de Lisle a pu écrire en quelques heures ses six couplets plus le refrain et composé la mélodie, lui, qui de l’avis de ses contemporains était un médiocre musicien ?
Faut-il croire au coup de génie ? Ou alors, l’exaltation patriotique née de la déclaration de la guerre et du souper chez les Dietrich explique t-elle une réussite aussi exceptionnelle ?
On sait que pour les paroles, Rouget s’est largement inspiré des proclamations et des discours enflammés qui avaient alors cours dans les clubs populaires et dans l’armée. Le bataillon de volontaires auquel il appartient s’appelle « enfants de la patrie » : il commence tout naturellement par : Allons enfants de la patrie… il a aussi en tête les formules enthousiastes d’une affiche de la « Société des amis de la Constitution » apposée le jour même dans Strasbourg :
« Aux armes citoyens ! L’étendard de la guerre est déployé, le signal est donné. Aux armes, il faut combattre, vaincre et mourir.
Aux armes citoyens ! Si nous persistons à être libres, toutes les puissances de l’Europe verront échouer leurs sinistres complots. Qu’ils tremblent ces despotes couronnés ! l’éclat de la liberté luira pour tous les hommes. Vous vous montrerez dignes enfants de la liberté ; courez à la victoire, dissipez les armées des despotes, immolez sans remords les traîtres, les rebelles qui, armés contre la patrie, ne veulent y entrer que pour faire couler le sang de nos compatriotes !...
Marchons, soyons libres jusqu’au dernier soupir, et que nos vœux soient constamment pour la félicité de la Patrie et le bonheur de tout le genre humain. »
C’est dans cette matière patriotique que Rouget va puiser les images et les formules les plus caractéristiques de son hymne guerrier.
Et la musique ? n’y a-t-il pas un petit mystère dans cette composition brillante, sans précédent et sans lendemain dans l’œuvre musicale de Rouget ? Qui a été e »n fait le véritable compositeur ? On cite de nombreuses réminiscences et emprunts à un air de « Sargines », Opéra de Dalayrac créé à Paris en 1788 et un petit air allemand apporté à paris par le compositeur Guillaume Navoigille. On évoque également quelques mélodies de l’époque qui présentent des ressemblances avec des passages de la Marseillaise : un air de la flute enchantée de Mozart, un rondeau des visitandines de Devienne, un air de l’allegro initial du 25° concerto en ut pour piano et orchestre écrit fin 1786 par Mozart…
On a dit aussi que la mélodie aurait été écrite par Ignace Pleyel dans cette nuit du 25 au 26 avril, et qui aurait préféré rester anonyme…hypothèse curieuse car il semblerait qu’à ce moment Pleyel était à Londres…
Après tout, considérons que Rouget de Lisle a eu le rare bonheur de bénéficier d’un incroyable génie !
Toujours est-il que la version strasbourgeoise du chant de guerre la marche des Marseillois fut vite transformée et présentée triomphalement le 02 octobre 1792 à l’Opéra de Paris , puis, devenue la Marseillaise, somptueusement « habillée » en 1830 par Hector Berlioz.
Après la disparition de la 1ere république et pendant des décennies, les gouvernements monarchiques tentèrent de la faire oublier. Elle ressurgit lors des révolutions de 1830 et de 1848, puis à nouveau oblitérée sous le Second Empire. Réintroduite officieusement dans les mois qui précédèrent la guerre de 1870, elle triompha pendant celle-ci et la Commune de Paris.
Officialisée seulement en 1879 par la III° république, notre hymne national, s’il conserve toujours ses paroles belliqueuses fut appauvri musicalement à l’usage des enfants des écoles, des fanfares municipales et militaires !
Elle fut parfois utilisée, de 1870 à nos jours, comme couverture patriotique des agissements de la grande bourgeoisie contre les intérêts du prolétariat, lors des guerres coloniales, lors de manifestations réactionnaires…
A tel point que de nombreux travailleurs, avant et après la guerre de 1914/1918 qui laissa exsangue la France « victorieuse », la rejetèrent au profit de l’Internationale qui symbolisait leurs espérances.
Cependant tout au long du XIX° siècle, chez certains peuples de l’étranger qui aspirait à leur libération, la Marseillaise fut le chant de combat, non seulement des prolétaires révolutionnaires mais aussi d’éléments républicains ou libéraux de la bourgeoisie.
En France enfin, la classe ouvrière a amplifié pendant et après la seconde guerre mondiale le mouvement commencé sous le Front populaire : reprendre la Marseillaise à la bourgeoisie défaillante et en refaire la chose du peuple !
Si on oublie tout le reste, toutes les autres récupérations et dévoiements, n’est ce pas là un destin prodigieux !
JCF
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Il est vrai que le 1er Juillet 2016 n’est pas une date comme les autres :
Condamné à mort par un tribunal inique, le Chevalier de La Barre fut torturé et décapité le 1er Juillet 1766, à 19 ans, pour « ne pas avoir salué une procession » !
Comme cette « affaire » contribua à la situation révolutionnaire de 1789 empreinte d’un engagement franchement anti-religieux des sans-culottes, et nourrit l’anticléricalisme, je me fais un plaisir de vous la conter…
A cette époque, la France connait une série de revers militaires et des oppositions intérieures fortes. Le « parti des philosophes », l’Esprit des Lumières rayonne, depuis 10 ans, le travail d’édition de l’Encyclopédie est entamé… L’aile janséniste, dirigée contre les huguenots, est très influente. Elle obtient même l’expulsion des jésuites en 1766 et organise la chasse aux « Hommes des Lumières…
C’est dans ce contexte que se succèdent les crimes judiciaires. Les victimes sont des Protestants ou des Libertins.
En 1765, le Chevalier François Jean de La Barre a 19 ans. Il n’est pas insensible à l’esprit des Lumières, il lit Voltaire. Certains le considèrent comme vaguement libertin. Né d’une famille qui ne manquait pas d’éclat, mais qui, au milieu du XVIII° siècle était tombée dans le dénuement, l’enfant, orphelin de bonne heure, fut recueilli par sa cousine Mme Feydeau, abbesse de l’abbaye de Willancourt à Abbeville. Celle-ci se montrait plus « grande dame » que religieuse, aimait le monde et recevait volontiers, le laissa se lier avec tout ce qu’Abbeville comptait de libertins, bien plus « libre-viveurs » que libre-penseurs.
Au matin du 9 Aout 1765, une découverte dans la Cité provoqua une singulière émotion : la mutilation du crucifix de bois du Pont Neuf d’Abbeville ! (en fait, deux entailles). Un mois plus tard, une cérémonie expiatoire, présidée par l’Evêque d’Amiens réunissait tout le peuple dans une amende honorable, cependant que se poursuivait l’instruction criminelle contre les auteurs toujours inconnus de « l’attentat ».
Comme des histoires ( on parlait de profanations d’hosties et de crucifix de plâtre, nombreux blasphèmes, chansons impies, etc…) couraient sur le compte du Chevalier de La Barre et de ses amis Gaillard d’Etallonde, autre fanfaron de l’anticléricalisme bon marché, et le petit Moisnel, enfant timide et influençable, et qu’on avait « bien vu » passer les trois compères devant une procession sans se découvrir : leur impiété était manifeste !
Pour les détenteurs de la force, pour les esprits étroits et velléitaires, ils méritaient d’être punis, et puisque l’on ne pouvait connaître avec certitude les auteurs de la mutilation du crucifix, on allait chercher un dérivatif dans une information nouvelle : une « ordonnance de prise de corps » des trois amis.
D’Etazllonde parvint à s’enfuir, Moisnel fut vite saisi, et La Barre ne tarda pas à être attrapé.
La procédure commença le 10 Aout 1765 pour se clôturer le 28 Février 1766 par le jugement de condamnation de Gaillard d’Etallonde (par contumace) et du Chevalier de La Barre. De toute l’instruction, un point essentiel est à retenir : la jonction de la procédure du sacrilège du Pont Neuf et celle des impiétés reprochées à La Barre et ses complices. D’Etallonde fut seul convaincu du crime de sacrilège du Pont Neuf, mais ses co-inculpés en supportèrent tout autant la peine prévue : la langue coupée, les mains coupées, puis décapitation et corps brulé ! (Plus tard, Moisnel ( 15 ans) fut considéré trop jeune pour être inquiété et reçu juste une amende).
4 chefs d’accusation sont retenus :
- Mutilation d’un crucifix (même si le fait fut toujours nié par La Barre et non prouvé)
- Avoir chanté des chansons impies
- Ne pas s’être découvert et agenouillé devant le Saint Sacrement
- Avoir possédé le dictionnaire philosophique de Voltaire (trouvé dans sa chambre) !
Notons (quand même) que, conscient de l’émoi général soulevé par cette horrible condamnation, l’Evêque d’Amiens fit alors repentance et intervint auprès du Roi pour obtenir la grâce du condamné. Mais c’était trop tard…et puis, on ne badine pas avec la religion dans un Etat fondé sur l’alliance du Trône et de l’Autel !
Le 1er Juillet 1766, le Chevalier de La Barre subissait à Abbeville son supplice et sa mise à mort. Soumis dès 5 h du matin à la question « ordinaire » et « extraordinaire », le chevalier fut conduit à 5 h du soir devant l’Eglise St Wulfran où il dut faire amende honorable et ensuite sur la place du marché au blé ou il fut décapité. A 6h30 on brula son corps et on jeta sur le bûcher le dictionnaire philosophique de Voltaire. Les cendres furent jetées au vent.
Retenons qu’il sut « bien » mourir, avec un noble courage et une souriante élégance. Il fut victime d’une véritable infamie, au nom de la religion. Pourtant il ne menait aucun combat contre elle, il n’avait ni conviction, ni idéal, il avait juste l’insouciance et la joie de vivre d’un jeune de 20 ans !
C’était au lendemain de la suppression des jésuites et au cours même de la lutte avec les assemblées du clergé, à un moment où le parlement français accentuait son hostilité à l’encontre de l’Episcopat, mais éprouvait, dans une France toujours chrétienne, le besoin d’affirmer son zèle pour la religion par des sentences contre l’impiété.
Ainsi donc, sa grâce et sa réhabilitation furent rejetées sous la monarchie. C’est la Convention qui le réhabilita le 25 Brumaire An II (15 Novembre 1793).
Fanatisme et haine sont deux fléaux de l’humanité qui ne trouveront jamais de repos tant que l’intolérance vivra !
PS : une statue du Chevalier de La Barre fut érigée devant le Sacré Cœur, la basilique infâme, à Paris en 1905 par la Libre Pensée et en présence de nombreux francs Maçons, déplacée square Nadar en 1927, et fondue en 1941 par les Allemands avec la bénédiction de Pétain !
Une nouvelle statue a été installée sur la colline de Montmartre à paris en Février 2001.
JCF
Voies et places à la mémoire du Chevaliet de La Barre :
http://www.laicite1905.com/voies.htm
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Nationalismes
Ils sont donc pour partir. Mais étaient-ils arrivés ? Depuis leur adhésion, il y a 43 ans, les sujets d’un royaume aujourd’hui désuni, n’ont jamais accepté ce mariage de raison. Les gouvernements conservateurs et travaillistes y trouvaient plus d’avantages qu’ils ne le disaient. N’avaient-ils pas gardé leur sacrée « livre sterling» ? Ils n’ont jamais cessé de se plaindre et d’exiger nombre de privilèges. La City, devenue première et mondiale, en a tiré plus que des bénéfices, une incroyable influence, soutenant sans faillir un libéralisme insupportable aux yeux de millions d’exclus britanniques et européens. Peut-être l’électorat « brexit » a-t-il voulu signifier aux pays fondateurs qu’ils étaient encore habitants d’une île ? Pourtant, leur isolement a toujours été plus que fluctuant : leur fidélité au grand large américain a souvent été préférée aux solidarités continentales. Les Anglais les plus modestes ont sans doute signifié à l’Europe, qui est surtout Bruxelles où siège la Commission toute puissante de Jean-Claude Junker, leur ras-le-bol. « Per aquò » (1), lorsqu’on regarde de près les résultats on constate que les Écossais et Irlandais du Nord ont exprimé clairement leur volonté de rester dans l’Union. Pour ce faire, ils demandent un référendum qui les ferait indépendants. Depuis notre très lointain Béarn, on pourrait imaginer le pire. Déjà, Marine Le Pen réclame son dû. Dupont-Aignan s’en félicite. Mélenchon demande, à juste titre, la plus grande transparence sur le nouveau traité. Une très forte secousse tellurique que l’échelle de Richter ne saurait enregistrer, frappe la France. Des ripostes viendront demain et après-demain. Longtemps. Que feront la France et l’Allemagne qui ont portés jadis la Communauté Européenne sur les fonts baptismaux ? Vont-elles tergiverser ? Céder aux lobbys multinationaux ? Plus grave, verrons-nous les nationalismes — voyez comment on les travestit en agitant l’étendard trompeur du « patriotisme » ! —submerger une Europe humaniste et ouverte que la défaite du nazisme avait préservée, tant bien que mal, des vieux démons qu’ils ont toujours réveillés ?
SJ
1. Ceci dit.
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Tribune du 6 juin 2016 écrite par Daniel Keller sur le site du journal numérique Mediapart intitulée "Crise des gouvernances"
Médias - extériorisation | Publié le 10/06/2016 | émis le 06/06/2016
De quelque côté que l'on regarde, un constat s’impose le monde n'est plus gouverné. A l'heure de la société globalisée, celui-ci est devenu une nouvelle jungle qui a ressuscité la guerre de tous contre tous. Plus près de nous, la construction tant vantée de l'Europe n'est en fait qu'un rassemblement d'Etats en désaccord sur tout et sur le plan intérieur la crainte du chaos gagne chaque jour du terrain.
L'exaspération sera à son comble si l'on croit qu'il en est ainsi parce que les sociétés seraient devenues ingouvernables. Dans une telle perspective, la crise généralisée des gouvernances serait l'expression d'une nouvelle ruse de l'histoire. Celle-ci serait parvenue à déposséder l'humanité de la maîtrise de son destin sous couvert de la globalisation des sociétés. Les apparences accréditent cette thèse mais comme toujours les apparences sont trompeuses. La fatalité en effet est moins le reflet de l'impuissance que celui du renoncement.
Au plan mondial, l'idéologie de la déréglementation impose sa loi avec cynisme. Les discussions en cours sur le traité transatlantique de libre échange en sont une démonstration à grande échelle. Conduites dans une opacité rarement égalée, elles sont un affront aux règles de vie démocratiques. Sur le fond, elles vantent le mirage d'un grand marché de 800 millions d'habitants en ignorant la réalité des conditions de vie de ces mêmes personnes trop souvent réduites au fantôme de consommateurs virtuels.
Les Etats donnent aussi le sentiment de faire preuve d'une négligence bienveillante face à l'annonce de leur probable démantèlement. Le projet de traité fait l'apologie d'un monde où les entreprises pourraient assigner ces derniers en justice, au motif que les normes sanitaires, sociales ou environnementales seraient des obstacles. Quel progrès ! Ces mêmes entreprises devraient pouvoir pour leur part échapper aux juridictions nationales sur la base de procédures d'arbitrage jugées plus souples. La main invisible d'Adam Smith est de retour mais pour tordre le bras des Etats au motif qu'ils seraient l'origine du problème et le principal obstacle à l'avènement d'une société dans laquelle les intérêts particuliers auraient vocation à enterrer la notion d'intérêt général, définitivement renvoyé au magasin des accessoires inutiles.
En Europe, dans l'attente du choix britannique et sans savoir si l'une ou l'autre solution provoquera l'électrochoc sans lequel l'Europe s'effondrera comme les Empires des siècles passés, on ne peut que s'étonner de l'incapacité des Etats à s'affranchir des règles en vigueur pour poser les bases d'une Europe politique, seul moyen pour chacun d'entre eux de retrouver une souveraineté qui ne soit pas une souveraineté du repli et du retrait. Les sujets ne manquent pas depuis la mise en place de politiques communes au plan budgétaire, fiscal, social, migratoire et sécurité jusqu'à l'instauration d'un parlement européen réellement souverain et la création d'une Europe de la défense. Seule une Europe politique sauvera l'Europe du désastre. Celle-ci doit être le fruit de la volonté des peuples qui la constituent et non le subtil échafaudage d’une administration lointaine et sans légitimité.
En France, au moment où la politique se fait chaque jour un peu plus dans la rue et un peu moins autour de la table, il convient aussi de rappeler que le dialogue n'est ni une incantation ni un vœu pieux mais le produit d'une construction patiente qui fait le pari de la confiance. Le compromis n'est pas une reculade mais le résultat d'une volonté d'avancer ensemble dans le respect d'une respiration collective qui doit permettre d'éviter l'infarctus social. Le choix n'est pas entre le goût de la réforme et la tentation de la révolte mais entre la fédération autour d'un projet collectif et le bricolage d'accords catégoriels.
Non, la crise des gouvernances n'est pas une fatalité. Elle est essentiellement la conséquence du renoncement, d'un manque de vision à long terme et d'un sens de l'écoute insuffisant.
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