Juin 1936 –quelques jours d’espoir
Au milieu des années 30 la condition ouvrière est déplorable. La crise de 1929 a jeté sur le pavé plus d’un million de chômeurs, soit 12% des actifs. Les salaires baissent de 8 à 20% : en 1935, le pouvoir d’achat a diminué de 27%...
Au fond des ateliers, gronde une sourde révolte contre l’autoritarisme des patrons, la discipline plus sévère, la généralisation du chronométrage et des chaînes, les salaires de misère, la lèpre des taudis des banlieues ouvrières.
C’est dans ce contexte que se transforme le paysage syndical. Découlant d’une décision du PCF qui (appliquant les consignes de Moscou) s’oppose désormais à Hitler et Mussolini, la CGT-U (confédération d’obédience communiste) décide de réintégrer la « vieille maison » CGT en Mars 1936.
La CGT réunifiée demande alors le passage de la semaine de 48 h à 40h sans diminution de salaire. Le patronat refuse, arguant de la concurrence étrangère. Le climat politique est tendu. Réunies dans un front populaire, les gauches abordent les élections législatives du 26 avril et du 3 mai avec optimisme.
Impatient, le mouvement social ne va pas attendre le résultat du deuxième tour. Les manifestations du 1er mai sont imposantes et génèrent des représailles : pour avoir chômé le 1er Mai, des syndicalistes et ouvriers des usines d’aviation Bréguet au Havre et Latécoere à Toulouse sont licenciés dès le lendemain.
Le 3 Mai, le front populaire remporte les élections avec 376 sièges contre 222 aux droites. Néanmoins ; Léon BLUM doit attendre un mois pour former son gouvernement. Mais, les licenciements chez Bréguet et Latécoere sont la goutte d’eau de l’autoritarisme patronal dans le vase des rancoeurs ouvrières, et dès le 11 mai, les deux  usines sont occupées et le 14 mai la région parisienne entre dans la danse…
Désorientés par la victoire du front populaire, apeurés par ces occupations pacifiques et spontanées, qui empêchent tout lock-out et embauche de « jaunes », déçus par les forces de l’ordre qui ne sont pas envoyées contre les grévistes, les patrons cèdent rapidement, et dès le 15 mai, les patrons acceptent des augmentations de salaires, le paiement des jours de grève et l’instauration de congés payés.
Mais rien n’y fait, le mouvement se propage comme une trainée de poudre. La base et les dirigeants syndicaux multiplient les demandes d’un salaire minimum, des 40 heures hebdomadaires et l’instauration de délégués du personnel. Le 28 mai, ce sont les 35000 ouvriers de l’usine Renault qui occupent leurs ateliers, suivis par toute la métallurgie parisienne. Un accord est vite trouvé chez Renault où le travail reprend dès le 30 Mai.
Début >Juin, c’est l’ensemble du pays qui est touché. Les grèves venues de la base s’organisent dans la métallurgie, la chimie, le textile, les grands magasins, les cheminots, les PTT, les mines, le bâtiment et les cafés-restaurants. Le patronat "CGPF » ( confédération générale de la production française, qui se transformera ultérieurement en CNPF . ndlr) prend peur et entre en contact avec Léon Blum qui vient enfin de former son gouvernement : il lui demande d’organiser un rendez-vous avec la CGT.  Cette dernière ayant refusé d’entrer dans le gouvernement au nom du respect de la Charte d’Amiens – indépendance vis-à-vis des partis politiques) accepte la rencontre qui débute le 7 juin à l’Hôtel Matignon, d’où le nom des fameux accords qui seront signés dans la nuit. Ces accords vont servir de guide et support à de nombreuses lois et décrets votés pour la plupart en juin 1936 : deux semaines de congés payés, semaine de 40h sans baisse de salaires, augmentations de salaires, généralisation des conventions collectives, reconnaissance du syndicat dans l’entreprise, nationalisation des industries de guerre, etc....  .
Cette première grande victoire du syndicalisme n’entraine pas, pour autant, une reprise immédiate du travail. Le 11 Juin (le jour ou Maurice Thorez lance le fameux «  il faut savoir terminer une grève »), il y a encore dans le pays plus de 2 millions de grévistes. Début Juillet, on comptera encore environ 200 000 grévistes.
Le 04 Juillet 1936, une manifestation monstre célèbre dans une belle unanimité la prise de la Bastille, la fête de la Fédération et les accords Matignon. Charles Maurras, membre de l’Action Française parlera de «  la lie des faubourgs mêlée à l’élément juif métèque ».
C’est ainsi que les grèves de Juin 1936 voient pour la première fois un vaste mouvement d’occupation ouvrière sans arme, sans violence ni destruction. Le son de l’accordéon a remplacé le bruit des canons.
C’est dans le secteur privé que le mouvement a été le plus profond. La fonction publique, contente du gouvernement de front populaire en qui elle se reconnait, est plutôt restée en retrait de cette lame de fond.
Le patronat n’est pas resté les bras croisés, assistant en spectateur impuissant à l’expérience de 1936.affolé en mai, sonné en Juin, il est déjà plus vigoureux en septembre et…en pleine forme en février 1937 (mais c’est une autre histoire)
Après les premiers congés payés de l’été 1936, le gouvernement Blum marquera la « pause » : les projets de retraite des vieux travailleurs, de fonds national de chômage et d’échelle mobile des salaires sont abandonnés…la guerre n’était plus très loin.
Pourtant les grèves de 1936 ne furent pas qu’un feu de paille, elles ont profondément marqué l’imaginaire collectif du mouvement ouvrier et syndical français !
Toute comparaison avec des évènements ou personnages existants n’est pas pure coïncidence ni fortuite !
Que reste-il de cet acte fondateur qu’a été le « front populaire » ? Je laisse à chacun le soin de répondre. Mais personne ne peut nier aujourd’hui que les discours de nos édiles du moment ont une saveur bien amère au vu de l’histoire écrite par leurs ainés.
Certes, la société n’est plus la même, et ce serait sans doute une erreur de vouloir reproduire aujourd’hui les traits du passé.  Mais quand même, peut-on rester indifférents aux similitudes qui se dégagent dans bon nombre de circonstances ?
En évoquant cette période de Juin 36, j’ai souhaité porter à la réflexion, compte tenu des évènements d’aujourd’hui, le fait que depuis toujours, et assurément pour longtemps encore, que le « monde du travail » dans son aspect « social » et psychologique peut être un rempart à « l’économique », qui, par ses impératifs, certes,  mais surtout ses objectifs, et les problèmes de choix qu’il pose, restreint la marge de Liberté et de Dignité de tous…
Il n’existe pas de fatalité. Aussi le  « monde du travail » et le « monde politique » doivent comprendre et accepter qu’aucun des problèmes que chacun rencontre ne peut  être résolu sans l’autre et qu’aucun des problèmes qui se posent aux deux ne peut être résolu par un seul !
Ce n’est qu’à ces conditions que tous, nous pourrons vivre pleinement notre « condition d’Homme » dans cette République que nous aimons.
«Il n’y a jamais de solution parfaite ni définitive pour l’Homme, chaque génération doit se battre pour récupérer le terrain perdu ou consolider ses positions. » Fred Zeller
JC.F