Discours de Madame la ministre de l’Education Nationale, de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche
Grand Orient de France 6 avril 2016


Monsieur le Grand Maître du Grand Orient, Mesdames, Messieurs,
Chers amis,
1. Le visiteur qui franchit le seuil du Grand Orient est accueilli par une phrase que je trouve – et je ne suis sans doute pas la seule – magnifique.
Une phrase de St-Exupéry. Tirée de Citadelle. Vous la connaissez tous. Pourtant, je souhaite la redire ici, ce soir, avec vous.
D’abord parce qu’elle témoigne des valeurs qui nous rassemblent. Ensuite, parce qu’elle sera le point de départ de mon discours.
Cette phrase, la voici : « Si tu diffères de moi, mon frère, loin de me léser, tu m’enrichis. »
Cette phrase de tolérance et d’ouverture, nous sentons bien à quel point elle est difficile à faire entendre aujourd’hui. Et pourtant, il est essentiel de la faire retentir. Car aujourd’hui, c’est l’idée même de diversité et d’enrichissement dans l’altérité qui est souvent attaquée, blessée, lésée. Comme si une norme culturelle devait se substituer à l’appartenance républicaine.
Dans un monde en furie, l’insensé semble la règle.
Et pourtant, devant les troubles du temps comme devant les violences du monde, le plus insensé serait de tomber dans la facilité de l’exclusion, de la
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complaisance face au communautarisme et de la résignation au repli sur soi, au lieu de nous appuyer sur ce qui nous rassemble et ce qui nous unit.
Sur ce qui fonde notre appartenance commune et qui n’est le fruit d’aucune homogénéité historique, culturelle ou ethnique, mais bien la reconnaissance dans un socle de valeurs partagées, dans l’affirmation d’un récit républicain capable de fédérer au service de ces valeurs, au moyen d’une langue commune mise en partage, notre langue française.
Nous avons, en France, une chance. Une chance immense. Une citadelle républicaine.
Et cette citadelle s’appelle l’Ecole de la République, où s’apprennent cette langue et ces valeurs qui définissent notre appartenance à cette entité collective qui rassemble et dépasse nos particularités individuelles.
L’Ecole fut, dès le début, considérée comme un creuset du sentiment républicain. Et elle eut ce rôle, avant même d’exister véritablement en tant qu’institution.
Oui, si vous vous penchez sur les écrits des Lumières, ces Lumières dont nous sommes les héritiers, et dans la lignée desquelles l’histoire de la Franc- Maçonnerie vous enracine si profondément, vous voyez que l’horizon de l’Ecole est la République, parce que l’école porte en elle l’idée de l’universalité.
Oui, l’Ecole est un lieu qui rassemble. Un lieu qui unit. Et c’est cette exigence qui explique que l’Ecole ait été déclarée laïque près de vingt ans avant que l’Etat ne le soit, avec les lois Ferry et Goblet de 1882 et 1886.
Ces dernières décennies, nous savons combien la laïcité a souffert d’attaques nombreuses, d’instrumentalisations et souvent même d’une méconnaissance profonde, encore aggravées par un laisser-faire et un aveuglement coupables.
J’ai voulu rompre avec ces compromis.
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Rappeler que la laïcité est un principe essentiel et intangible garant du vivre ensemble, qui ne peut être à géométrie variable, soumis aux fluctuations des contextes sociaux ou politiques, négocié avec tel ou tel groupe de pression, ou enfin présenté de manière différente en fonction d’intérêts partisans ou d’objectifs qui lui sont exogènes.
Rappeler que la liberté religieuse est une expression de la liberté de conscience et que, partant, la Laïcité n’est pas l’instrument d’une opposition ou d’un refoulement du fait religieux, mais la condition de la coexistence harmonieuse de toutes les expressions confessionnelles, comme de leur absence.
Et promouvoir la laïcité pour ce qu’elle est suppose d’arrêter de détourner le regard quand elle est attaquée. Refuser les accommodements, les petits renoncements préparent les grands.
Affronter la réalité de la situation en face, en mobilisant l’ensemble de l’institution scolaire, tel a été l’un des grands objectifs de mon action en tant que ministre de l’Education Nationale.
Car s’aveugler n’a jamais rien réglé. Transiger, ce n’est pas se ménager l’espace d’une victoire future : c’est s’assurer une défaite présente.
Nous avons tout repris, et d’abord la vigilance.
L’éducation nationale était myope sur les atteintes à la laïcité, fruit d’une culture du « ne pas faire de vague » et d’un réflexe de protection des agents.
J’ai donc tenu à ce que les cas d’atteintes au principe de la laïcité fassent l’objet de remontées immédiates et systématiques et que tout manquement donne lieu à une réaction, ferme et appropriée.
Nous savons aujourd’hui que les atteintes aux valeurs de la République représentent environ 8% des incidents graves recensés, ce qui est significatif mais sans rapport avec les présentations apocalyptiques de l’extrême droite.
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Oui, sans céder au syndrome de la citadelle assiégée, l’éducation nationale est maintenant entrée dans l’ère du « ne rien laisser passer », et j’ai exigé qu’aucun incident ne soit laissé sans suite à la fois éducative, disciplinaire, et, chaque fois que nécessaire, judiciaire.
J’assume cette nécessité de rétablir l’autorité de l’institution scolaire et des maîtres, car la fermeté, c’est redonner, à chaque acte, sa dimension et son sens. Refuser la minimisation et le relativisme.
Mais aussi savoir distinguer entre ce qui relève d’une atteinte délibérée à la laïcité, de phénomènes liés à des provocations adolescentes.
Signaler et sanctionner, sans jamais détourner le regard, mais sans jamais s’interdire de penser, telle est aujourd’hui la règle au sein de nos établissements.
J’ajouterai cependant à ces deux dimensions une troisième, qui les précède, dans les faits, et qui leur donne tout leur sens : c’est l’importance de la pédagogie.
Il nous appartient, quand la confusion se répand, de rappeler le sens, l’objectif, la signification profonde de la laïcité. C’est rappeler qu’elle est un cadre législatif qui définit, au sein de l’Ecole comme au sein de l’Etat, pour chaque élève, pour chaque enseignant, et pour chaque famille, des droits et des devoirs.
2. C’est ainsi que nous rendons possible une appréhension de la laïcité dans toute sa richesse.
La laïcité, c’est la liberté qui rend possible toutes les autres.
La laïcité, c’est la valeur qui sécurise l’espace de l’Ecole, qui transforme l’enfant en élève pour lui transmettre, en toute sûreté, le savoir et le vivre ensemble.
La laïcité ne doit donc pas simplement être mobilisée quand les bornes sont dépassées. En réaction. En défense.
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Elle doit faire l’objet d’une pédagogie active et permanente, faite de dialogue, de mise en situation et de débats, s’appuyant sur l’ensemble des ressources disponibles dans les établissements.
C’est au moyen d’une telle pédagogie, déployée sur tout notre territoire, placée au cœur de la formation initiale de l’ensemble des enseignants, qu’on continuera de faire de la laïcité une valeur positive, nécessaire, exigée par l’ensemble des élèves, et non un interdit qui serait simplement brandi quand les limites seraient franchies.
Le ministère a conduit, entre mars et avril 2015, un vaste programme de formation de 1200 formateurs sur le thème de la laïcité, à travers huit séminaires inter-académiques. Ceux-ci sont, à leur tour, en train de former près de 300 000 enseignants d’ici à la fin de l’année.
Cette formation, c’est aussi celle des élèves des ESPE. La capacité des candidats à « expliquer et à faire partager les valeurs de la République » a été inscrite dans le tronc commun des enseignements, et fera l’objet d’une évaluation systématique dans les concours de recrutement.
Enfin, parce que je veux que la laïcité s’inscrive dans la culture professionnelle de tous les professeurs, des modules de formation à la laïcité et à l’enseignement laïc des faits religieux ont été élaborés par la DEGESCO sur la plate-forme M@gistère, à laquelle l’ensemble des enseignants peut avoir accès. Par leur formation, nous assurons aussi celle des élèves.
Mais j’ai voulu aller au-delà, en remettant la laïcité au cœur de l’Ecole.
J’ai ainsi tenu à ce que soit rappelée la place centrale de la laïcité en affichant la charte de la laïcité et en la faisant signer par les parents d’élèves.
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Cette charte rappelle que la laïcité est un cadre juridique, et, à travers ses différents articles, la laïcité se trouve transcrite très concrètement pour l’ensemble de la communauté éducative en termes de droits et de devoirs.
Et c’est encore pour renforcer cette culture commune de la laïcité, qu’un livret laïcité a été transmis au personnel, pour qu’ils puissent se l’approprier et la faire respecter, avec, toujours, une connaissance et une conscience claire de ses enjeux.
Aucun enseignant ne doit, au sein de sa classe, se sentir isolé, oublié, devant des contestations et des remises en cause de la laïcité. Par les ressources, tant juridiques que pédagogiques, par la formation, nous assurons à nos personnels une chose : nous sommes à vos côtés. Nous sommes avec vous.
Enfin, faire vivre la laïcité à l’école suppose d’avoir le courage de la clarté sur des points qui font souvent débat ou même polémique.
Par exemple la distinction entre le savoir et le croire, qui est au cœur de la mission de l’école.
Aucun relativisme ne peut être accepté sur ce point : les convictions religieuses n’ont pas leur place à l’école, au contraire des faits religieux, comme objets culturels, historiques, sociaux, et qui sont enseignés depuis le rapport de Régis Debray.
J’ai eu l’occasion de rappeler l’importance de cette distinction dans le livret « laïcité » adressé à tous les chefs d’établissement, qui comporte une partie de conseils pédagogiques pour répondre aux cas de contestation par des élèves.
C’est dans ce seul cadre que nous avons conseillé « d’éviter la confrontation ou la comparaison du discours religieux et du savoir scientifique » car si l’école n’enseigne que le second, elle se doit, comme le rappelait Jules Ferry dans sa
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Lettre aux instituteurs, de respecter les convictions transmises dans le cadre familial.
Je cite : « La loi (...) met en dehors du programme obligatoire l'enseignement de tout dogme particulier; d'autre part, elle y place au premier rang l'enseignement moral et civique. L'instruction religieuse appartient aux familles et à l'Église, l'instruction morale à l'école. Le législateur n'a donc pas entendu faire une œuvre purement négative.»
De cette lettre, en tant que ministre de l’Education Nationale en 2016, je n’ai pas un seul mot à retrancher.
Ce n’est pas le rôle de l’école de confronter la religion et la science, au risque de se perdre dans des échanges par nature stériles puisque la croyance ne supporte aucune réfutation rationnelle.
Donc la mission de l’école, c’est le savoir et la laïcité, sans relativisme ni épithète pour l’un comme pour l’autre.
Autre sujet souvent sensible : les parents accompagnateurs de sortie scolaire. Notre droit est clair à ce jour : ces derniers ne sont pas collaborateurs du service public, ils ne participent qu’en tant que parent, sans intervention pédagogique, et donc ils ne sont pas soumis à la neutralité religieuse.
Rappelons ici que la laïcité, c’est la neutralité de l’Etat, de ses agents, et des élèves à l’école pour les protéger de toute forme de prosélytisme.
Ce n’est pas la neutralité des individus ou de l’espace public. La laïcité protège la liberté de conscience ; elle ne vise pas à la restreindre pour d’autres motifs que le respect de l’ordre public et de la liberté d’autrui.
A cet égard, monsieur le grand maître, j’ai lu, dans votre audition à l’Observatoire Nationale de la laïcité le 22 mars dernier, une citation de Voltaire que j’ai trouvée particulièrement marquante.
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Après Saint-Exupéry, donc, Voltaire. Vous voyez que je suis, dans ce discours mais plus largement dans cette salle, en bonne compagnie.
Il s’agit, dans la lignée de sa défense de la Tolérance universelle, de la phrase suivante, dans une lettre adressée à monsieur Bertrand, premier Pasteur à Berne, à propos du jugement en faveur des Calas :
« Voilà un événement [– Voltaire parle du jugement en faveur des Calas –] qui semblerait devoir faire espérer une tolérance universelle ; cependant on ne l’obtiendra pas de sitôt, les hommes ne sont pas encore assez sages. Ils ne savent pas qu’il faut séparer toute espère de religion de toute espèce de gouvernement : que la religion ne doit pas plus être une affaire d’état que la manière de faire la cuisine. »
C’est là un point essentiel.
Oui, l’un des rôles de la laïcité doit être justement de nous permettre d’arriver à ce moment, où selon sa formule, la « religion ne doit pas plus être une affaire d’état que la manière de faire la cuisine. »
Dès lors que les parents ne sont pas l’affaire de l’Etat, au sens où ils ne sont pas ses collaborateurs, la position du ministère est claire et opérationnelle pour les équipes éducatives : le refus de principe opposé à des parents accompagnateurs de sorties scolaires au motif de signe d’appartenance religieuse n’est pas fondé en droit, donc l’acceptation de leur présence doit être la règle et le refus l’exception.
J’ajoute que si la laïcité doit être protégée avec la plus grande fermeté, la bonne volonté de parents qui, en encadrant une sortie scolaire manifestent leur intérêt pour la scolarité de leur enfant et leur désir de coopération avec l’école doit rencontrer le dialogue et non la fermeture.
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Après avoir défendu une école inclusive, une école fondée sur l’universalité, comment voulez-vous expliquer à un enfant, que sa mère n’a pas le droit de l’accompagner à la piscine ou la bibliothèque de quartier ?
Toutefois, les équipes éducatives doivent – c’est évident – interdire leur présence en cas de provocation ou de prosélytisme.
Nous sommes d’accords sur ce point, et c’est bien pour cette raison que je n’ai pas abrogé la circulaire Chatel : pour que les enseignants puissent y avoir recours chaque fois que la situation le nécessite.
Les responsables éducatifs peuvent donc toujours interdire la participation de parents pour des motifs de prosélytisme religieux, de provocation ou de trouble à l’ordre public.
Il est hors de question d’abaisser les digues qui protègent l’école, cet « asile inviolable où les querelles des hommes ne pénètrent pas » selon la belle formule de Jean Zay.
Mais ne minorons pas l’enjeu de la confiance entre l’école et tous les parents.
Nous défendrons plus efficacement la laïcité et l’égalité dans une école capable de rassembler et de créer de la coopération et de la confiance.
Si nous voulons que l’école fabrique de l’appartenance commune à la République, elle doit le faire sur fondement de règles claires qui sanctionnent des comportements, comme le prosélytisme, et pas l’existence d’une identité religieuse.
Il est un troisième sujet qui nourrit à bon droit les passions laïques, c’est le statut particulier de l’Alsace-Moselle, où l’Etat a toujours obligation, depuis une ordonnance allemande du 10 juillet 1873, de proposer un enseignement religieux dans la scolarité obligatoire.
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Faut-il donner la primauté à un droit local constitutif d’une identité territoriale, au détriment de la laïcité, ou au contraire faire prévaloir les principes d’égalité républicaine ?
Vous imaginez bien où va ma préférence.
J’ai donc chargé les recteurs concernés de concerter les autorités locales afin de mettre en œuvre les préconisations judicieuses de l’Observatoire de la laïcité.
Cette démarche ne sera publique que dans les semaines à venir, donc je vous demande une certaine discrétion, mais j’y suis très attachée.
Au moment où nous voulons renforcer les apprentissages fondamentaux, il est inconcevable que certains élèves ne bénéficient que de 23 heures hebdomadaires quand tous les autres en ont 24.
Nous avons là une belle opportunité de faire progresser ensemble l’égalité et la laïcité !
J’évoquais les points qui soulèvent les passions ou les polémiques dans les débats, parfois même au sein de la famille laïque dont je me revendique, mais il y a aussi des situations, des défis qui inquiètent.
3. Je pense en particulier à la nécessité de lui redonner pleinement les moyens de transmettre et de faire vivre les valeurs de la République.
L’Ecole est aussi, en elle-même, une société. Malgré nos efforts, elle ne sera jamais étanche à ses dérives. Voilà pourquoi elle joue, dans la formation de chaque élève à la citoyenneté, dans le renforcement de notre cohésion au sein de la République, un rôle fondamental.
Cette relation profonde qui unit l’Ecole et la République, nous la vivons avec une intensité d’autant plus forte qu’elle a été frappée de plein fouet par les attentats que nous avons vécus au cours de l’année 2015.
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Au lendemain de la première guerre mondiale, Paul Valéry écrivait, Dans la Lettre de l’Esprit : « nous, civilisations, savons désormais que nous sommes mortelles ».
C’est une émotion analogue qui nous a, je crois saisis, dans les moments graves que nous avons traversés en janvier puis en novembre 2015.
Oui, la République s’est, en un sens, révélée mortelle.
Mais cela ne signifie pas qu’elle soit morte.
Cela veut dire que nous devons lutter pour elle. La défendre. Et nous rappeler que cette paix qui nous est si chère, loin d’être le cours naturel des choses, est un trésor précieux pour lequel nous devons nous battre chaque jour.
J’ai d’abord voulu que l’Ecole prenne sa part dans le combat contre la radicalisation.
Prendre sa part, c’est agir, mais en ayant toujours conscience de ses responsabilités et de ses limites. Il ne s’agit pas d’imposer, à nos personnels, des missions qui ne sont pas les leurs. Mais de leur donner les moyens d’être vigilants, et surtout, d’avoir une marche à suivre très claire en cas de problèmes.
Un enseignant, parce qu’il est au contact régulier des élèves, peut discerner des changements de comportement, ou signaler des échanges particulièrement violents, des refus de discuter de tels ou tels sujets.
Autant d’indices qui doivent amener, à la fois, à conduire un dialogue avec l’élève et sa famille, mais aussi à se mettre en relation avec leur inspecteur d’académie si besoin, et d’appeler le numéro vert « stop djihadisme ». Afin de coordonner tout cela, j’ai demandé qu’un référent radicalisation soit nommé dans chaque académie.
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Ici encore, il n’est pas toujours simple de différencier ce qui relève de la radicalisation, d’une révolte adolescente ou d’une pratique rigoriste d’une religion.
Nos professionnels ne sont d’ailleurs pas là pour juger de la véracité ou non d’une situation de radicalisation. Leur rôle est de détecter les jeunes en déshérence, en danger et qui éventuellement pourraient aussi représenter un danger.
Il revient ensuite aux cellules de suivi préfectorale ou encore à la justice de déterminer s’il y a ou non radicalisation.
Pour aider nos personnels, nous avons produit un livret en ligne « Prévenir la radicalisation des jeunes » diffusé en février 2015, grâce à l’expertise d’autres ministères et des services interministériels.
Ce livret permet de lister des signaux faibles qui croisés et cumulés peuvent indiquer une situation de radicalisation : une rupture relationnelle aggravée ou généralisée avec les camarades, les amis ; une rupture avec l’école ; une rupture avec la famille.
On peut aussi parfois constater des propos antisociaux virulents ou violents, une multiplication des tensions ou des conflits avec autrui.
Là encore, j’insiste sur le fait qu’une fois cette situation signalée, c’est la cellule de suivi préfectorale en lien avec les services concernés qui déterminera si oui ou non ce jeune est en voie de radicalisation.
Pour vous donner une idée, ce sont 857 situations que nos services ont signalé aux Préfectures en 2014/2015 et 617 entre septembre et décembre de cette année scolaire.
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Toutes ne relevaient pas de radicalisation à proprement parler. Le signalement a permis à nos professionnels de lever un doute sur une situation qu’ils avaient parfois des difficultés à évaluer seul.
Mais c’est un signe fort que l’Ecole de la République, dans ce domaine, n’hésite pas à assumer aussi ses responsabilités.
Alors, me direz-vous, qu’en est-il pour le privé, en particulier « hors-contrat » ?
Cet enseignement hors contrat était laissé en déshérence par le passé : sous couvert de liberté d’enseignement, le contrôle de l’Etat n’a pas été garanti. Les alertes comme le rapport Obin (2004) pour l’enseignement public étaient ignorées.
J’ai donc entrepris une refonte globale : nous avons reprécisé le cadre réglementaire, notamment pour rappeler que les inspections doivent vérifier le respect des lois et des valeurs de la République.
J’ai mis en place une mission d’inspection générale pour la formation des corps d’inspection et le soutien aux académies.
J’ai ordonné des inspections plus fermes, sans prévenir. En dehors des inspections habituelles (de l’ordre de 300 par an), nous avons inspecté une vingtaine d’établissements hors contrat, de toute confession, dont un tiers présente des lacunes pédagogiques préoccupantes, qui justifient de nouvelles inspections.
Je le dis clairement : les établissements qui ne respectent pas la loi feront l’objet de procédures de fermeture devant la justice.
Et je souhaite même aller plus loin.
Nous réfléchissons à réformer le régime d’ouverture des établissements d’enseignements privés.
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Aujourd’hui, une simple déclaration suffit à ouvrir une école. En théorie, le maire peut s’y opposer sous 8 jours, l’Etat sous un mois.
En pratique, il est très difficile de déceler les problèmes et les risques sur un délai aussi bref.
Et puis je pense que notre République doit être responsable de tous ses enfants, donc refuser le fait accompli dans l’enseignement privé.
Je souhaite donc que dorénavant toute ouverture d’école privée soit soumise à un régime d’autorisation, permettant de s’assurer non seulement des conditions de salubrité et d’hygiène, mais aussi de la qualité du projet pédagogique, y compris pour garantir sa conformité avec les lois et les valeurs républicaines.
C’est en leur sein et seulement en leur sein que peut prospérer la liberté d’enseignement.
Vous le voyez, nous sommes bien loin des complaisances qui ont pu exister par le passé et je suis devant vous pour le dire clairement : l’autorité de l’Etat ne faiblira pas face à ceux qui s’en prennent à nos valeurs ou détournent nos libertés pour nous attaquer.
Tout aveuglement, tout renoncement serait insupportable dans le contexte actuel.
4. Mais au-delà de l’accent mis sur le repérage et la prévention de la radicalisation, nous avons aussi un combat à mener en nous appuyant sur les ressources qui ont toujours été celles de l’Ecole : le savoir, la connaissance, la culture et la réflexion.
L’Ecole, mais plus largement la République, est soumise à trois menaces, qui sont aussi trois discours. Le premier, c’est la montée des intégrismes. Le second, c’est la montée du populisme. La troisième, c’est la montée du complotisme.
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Ils sont tous les trois liés, d’une façon ou d’une autre. L’intégrisme des uns nourrit le populisme des autres, et dans ces deux courants le complotisme trouve bien souvent une place de choix.
Mais la grande difficulté, c’est que ces discours, qui ont, en un sens, toujours existé, sont désormais diffusés à une très large échelle. Ils ont une audience qu’ils n’ont jamais eue auparavant.
On pouvait déjà trouver, au siècle dernier, dans quelque gazette tirée à trois exemplaires, des discours empreints de délires paranoïaques et fiévreux. Mais aujourd’hui, ils abondent.
Si la chose n’était pas si grave, on pourrait même être tenté d’esquisser un sourire, quand l’on voit internet ramener à la surface des faux aussi ineptes que le protocole des sages de Sion, ou bien quand l’on voit l’imagerie associée à la Franc-Maçonnerie sur certains sites, tout droits sortis d’un XIXème siècle finissant, où résonnaient avec force les diatribes contre le complot judéo- maçonnique.
C’est dans ce contexte marqué à la fois par les attentats et la montée de ces discours opposés à nos valeurs, qu’intervient le parcours citoyen, qui s’inscrit dans la grande mobilisation de l’Ecole pour défendre les valeurs de la République.
Ce parcours citoyen, je ne vais pas vous le décrire point à point - la lecture d’une circulaire réglementaire n’est sans doute pas à la hauteur de l’éloquence attendue dans un tel contexte. Mais je voudrais insister sur sa singularité et sur l’innovation réelle et profonde qu’il constitue.
Si son objectif est clair, apprendre, à nos élèves, la citoyenneté, les moyens de le remplir sont nécessairement complexes.
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Ce parcours, déjà, ne se résume ni à un seul enseignement particulier, ni même aux seuls enseignements. Il y se déploie dans trois cadres distincts : dans nos salles de classe ; dans nos écoles ; et dans notre société.
Au sein des enseignements, l’apprentissage de la citoyenneté s’appuie notamment sur l’Enseignement Moral et Civique et sur l’Education aux Médias et à l’Information.
L’Education aux Médias et à l’Information répond au paradoxe d’une société où jamais les sources d’informations n’ont été aussi abondantes, et où, en même temps, jamais la confusion et la désinformation n’ont été aussi influentes.
A l’heure où la propagande est à portée de clic, il est essentiel de donner à nos élèves une capacité à prendre du recul et un esprit critique. Grâce à l’Education aux Médias et l’Information, les élèves acquièrent des réflexes qui sont à la fois ceux des historiens, vérification des sources, examen critique des documents, et ceux des journalistes.
Ces compétences se façonnent aussi en donnant aux élèves l’occasion à leur tour de créer des médias lycéens.
De la même façon, l’Enseignement Moral et Civique ne cesse d’articuler le savoir et la pratique, ou, pour être plus précis, la pédagogie de projet.
Nos valeurs ne sont pas que des mots : elles nous engagent dans une action concrète, des projets collectifs. Comprendre et incarner ces valeurs sont deux aspects importants qui se prolongent dans la pratique du débat argumenté, de l’échange, et de la réflexion.
Faire, pour savoir. Agir, pour ne plus subir. La citoyenneté réelle s’élabore dans une relation active au monde qui nous entoure.
Voilà pourquoi j’ai voulu que ces enseignements se prolongent par des engagements concrets au sein de l’Ecole d’abord, dans les conseils de vie 16
collégienne ou de vie lycéennes, pour que nos élèves puissent pratiquer la démocratie, mais aussi, au-delà, par une ouverture vis-à-vis de la société dans son ensemble.
Cette ouverture se fait en direction des associations, par la visite des lieux de mémoire, ou par la participation à des concours comme celui de la Résistance et de la Déportation. Mais elle se fait aussi en ouvrant les portes de l’Ecole, notamment aux membres de la Réserve Citoyenne.
Ouvrir l’Ecole aux Réservistes, cela demande, bien sûr, des adaptations et des changements. Cela prend du temps. Mais l’Ecole change. L’Ecole s’ouvre.
Et ce qui va sans cesse amplifier ce mouvement, c’est qu’à chaque fois qu’elle s’est ouverte, à chaque fois que des réservistes ont pu venir à la rencontre de nos élèves, cela s’est révélé profondément enrichissant.
Oui, nous avons besoin du témoignage de tous ces citoyens qui, jour après jour, s’engagent. Nous avons besoin de vous.
Car la transmission de nos valeurs est l’affaire de chacun d’entre nous. En étant au cœur de la République, l’Ecole a vocation à s’ouvrir, à accorder plus de place aux citoyens désireux de s’engager, et ce, afin d’assumer la mission que lui a confié la Nation.
En disant que nos valeurs ne sont pas de simples mots, je crois aussi essentiel de rappeler que notre devise ne doit pas rester lettre morte : liberté, égalité, fraternité, ce sont des injonctions qui s’adressent à chacune et à chacun d’entre nous.
La défense des valeurs de la République passe aussi par une action résolue pour une Ecole plus juste. Pour une Ecole qui fasse clairement le choix d’agir contre les inégalités. Car sinon, nous courons encore une fois le risque d’engendrer, entre le discours, et la réalité vécue, une déchirure difficile à cicatriser.
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Avec la réforme de l’éducation prioritaire et les 350 millions d’euros supplémentaires que nous avons consacrés à ces établissements, avec le « plus de maîtres que de classes » et la scolarisation des moins de 3 ans que nous développons en particulier en éducation prioritaire, avec la réforme de l’allocation des moyens, nous contribuons à « faire des égaux » au lieu de nous contenter d’en « parler ».
Et de la même manière, j’ai lancé, sur un certain nombre de territoires volontaires, une expérimentation pour mettre un terme aux ségrégations sociales et scolaires qui minent notre système.
Car la mixité sociale n’est pas un sujet anecdotique : il est au centre de l’Ecole de la République.
En effet, au cœur de la citoyenneté, comme au cœur des différents enseignements, il y a une question primordiale : celle de la relation aux autres.
Cette relation aux autres, c’est celle qui s’élabore à travers la maîtrise de la langue française et des fondamentaux ou par le respect des règles qui régissent la vie de l’école et la vie dans l’école.
Cette relation, c’est celle, essentielle, qui va se façonner avec les professeurs, mais aussi celle qui, à travers des lectures, des apprentissages, des visites ou des ateliers, va inscrire l’élève dans un héritage beaucoup plus vaste, celui des siècles passés.
Apprendre, c’est développer une familiarité profonde avec ce qui au départ était inconnu, ou méconnu. C’est, au fond, s’ouvrir aux autres, à l’altérité pour façonner avec eux quelque chose de commun.
Et c’est cette importance de la relation à l’autre et aux autres au sein de l’école, cette part essentielle à l’œuvre dans tout enseignement, qui m’amène à ne pas considérer, comme certains, qu’il y aurait d’un côté la question de la réussite de
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nos élèves et de leur formation, et de l’autre celle, plus accessoire, de la mixité sociale.
Les deux sont profondément liés.
Comment fonder durablement une société unie et cohérente, si les femmes et les hommes qui la composent ne se rencontrent jamais et ne se fréquentent pas ?
Comment défendre le mérite, l’effort et le travail, si, d’une certaine façon, tout est joué avant même qu’un élève ait franchi le seuil de l’institution scolaire, par le seul poids des déterminismes économiques et sociaux ?
Nous avons donc besoin de mixité sociale.
Nous en avons besoin car, comme l’ont montré des études internationales, la mixité sociale améliore le niveau des élèves les plus fragiles, sans aucunement tirer les autres vers le bas. Il n’y a donc aucun perdant.
Nous en avons besoin, car la mixité sociale renforce le sentiment d’appartenance à la République, et favorise une meilleure connaissance de chacune et de chacun.
Et je crois qu’il est important de le rappeler. De le marteler. Car nous ne lutterons jamais efficacement contre la tentation du pire si nous ne donnons pas, à chaque élève, ce qui nous est si nécessaire, à chacune et à chacun d’entre nous : un avenir.
5. Cet avenir doit s’inscrire à la fois dans le devenir singulier de l’élève, et dans l’horizon commun de la République. Les deux piliers de la refondation de l’Ecole, ce sont nos valeurs républicaines, et la réussite scolaire.
L’objectif de l’Ecole n’a pas changé au fil des siècles : former des citoyens instruits, cultivés, éduqués – donc libres.
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Mais ce qui a changé, radicalement, c’est la situation dans laquelle nous sommes. Nous avons besoin de liens. Nous avons besoin de sens.
Tout l’enjeu de la refondation est précisément de ne pas tomber dans le jeu stérile des oppositions, mais d’insister sur la complémentarité.
Car c’est par la complémentarité que nous répondons à la complexité de ce qui se joue dans nos établissements, depuis la salle de classe d’une Ecole primaire, jusque sur les bancs de l’université.
Sur les principaux enjeux de l’Ecole, sur les questions qui la parcourent, nous ne pouvons plus tolérer le jeu factice des oppositions, dont la tribune de Nicolas Sarkozy est le plus récent avatar.
A chaque réforme, on voit surgir les mêmes débats. A première vue, ils convoquent deux camps immuables : on a, d’un côté, les républicains, ou les néo-républicains, de l’autre les pédagogues.
Et chacun se réclame de champions bien distincts. C’est l’instruction contre l’éducation, c’est Alain contre Freinet, Condorcet contre Rabaud Saint-Etienne.
Mais ces camps si tranchés, laissent apparaître d’étranges divergences et de surprenantes convergences.
Celui qui se revendique d’Alain et de la tradition, vante les cours magistraux. Mais cette tradition, ne date que de la fin du XIXème siècle, et c’est une pratique qu’Alain condamne sans aménité, je cite :
« D’une leçon magistrale, il ne reste presque rien après huit jours, et après quinze jours, il ne reste rien du tout. C’est en récitant, en lisant, en copiant et recopiant que l’enfant retient à la fin quelque chose. »
Et Condorcet, chantre de l’instruction, n’évoque-t-il pas, au fond, l’éducation, lorsqu’il propose de faire naître une émulation qui « a pour principe des
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sentiments de bienveillance, et non des sentiments personnels, comme l’émulation des collèges. »
Voilà pourquoi je crois qu’il faut dépasser ces débats sans fin, et ne pas rentrer dans le jeu des oppositions superficielles : « connaissance ou compétence », « fondamentaux ou éducation artistique et culturelle », « insertion professionnelle ou humanisme. »
A toutes ces questions, je réponds : « Les deux ». Ce n’est pas une boutade. Faire le choix de la complémentarité, c’est remettre, au centre de l’Ecole, une pensée complexe.
C’est rappeler que le propre de l’être humain, c’est justement d’être à la fois sensible, et raisonnable, impulsif et cérébral, un professionnel, et une personne.
Qu’est-ce que cela signifie concrètement ?
C’est remettre les fondamentaux au cœur de l’Ecole, tout en ne les restreignant pas aux seuls enseignements disciplinaires.
Oui, les fondamentaux, sont essentiels. Personne ne peut sérieusement songer à les remettre en cause.
Et si nous voulons répondre à la crise du sens qui est au cœur des crises que nous vivons, nous avons besoin que nos élèves aient une réelle maîtrise de la langue française. C’est par l’échange, par le dialogue, par l’argumentation, par la capacité à débattre, à s’exprimer que nous avancerons ensemble.
La maîtrise de la langue française, ce n’est pas simplement savoir s’en servir pour remplir un formulaire ou lire le mode d’emploi d’une étagère suédoise. C’est accéder, par elle, à une connaissance profonde : c’est se nourrir de cette conversation constante avec les femmes et les hommes du passé et du présent que constitue la lecture. C’est non seulement savoir écrire, mais bien écrire. Avec un style. Avec une exigence.
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Mais tout cela se travaille aussi hors des cours de français au sens strict.
Un élève qui prépare une pièce de théâtre, pratique une lecture rigoureuse, exigeante, pour à la fois comprendre le texte, et en déceler les non-dits, l’implicite et la beauté formelle, qui jouent un rôle essentiel dans l’écriture dramatique.
Un élève qui intervient dans un conseil de la vie collégienne ou lycéenne, va aussi avoir besoin de préparer son intervention. D’argumenter. D’écouter aussi. Et d’être, dans le choix de ses mots, précis et rigoureux.
Et de la même façon, en travaillant sur le commentaire d’un tableau, vous allez à la fois mobiliser la langue française, mais aussi, peut-être, la géométrie, pour mettre en évidence le bouleversement que constitua l’invention de la perspective.
Les fondamentaux, lire, écrire, compter, justement parce qu’ils sont fondamentaux, innervent l’ensemble des enseignements et de la vie scolaire.
Et le sens des Enseignements Pratiques Interdisciplinaires qui ont fait couler tant d’encre, ce n’est pas de sacrifier les disciplines. Mais c’est d’en dévoiler les liens aux élèves, et de le faire, en s’inscrivant dans une pédagogie de projet.
Celle-ci, là encore, ne s’oppose pas à l’enseignement : elle propose une autre appréhension des connaissances et des savoirs vus en cours.
Et ce changement de perspective est parfois le moyen pour des élèves de surmonter des difficultés, de redécouvrir aussi une discipline sous un autre point de vue, et de comprendre le sens profond de ce qui lui est enseigné.
Ce n’est pas rien. Nous avons toutes et tous besoin de nourrir notre action, notre vie, avec du sens.
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Alors certes, l’élève entend bien ses professeurs lui dire que l’Ecole est importante. Que cela, même si je n’aime pas forcément beaucoup le terme, « va lui servir ».
Mais c’est autre chose de le vivre. De le ressentir. Justement parce que le sens de l’Ecole a été un peu oublié aujourd’hui.
Je m’explique. Les liens et les complémentarités que j’évoquais, et j’aurais pu prendre encore bien des exemples, ne sont pas une nouveauté, au sens propre, pour les enseignants.
Ce n’est pas non plus une révélation pour les élèves les plus favorisés, qui ont la chance, – car oui c’est une chance – d’être dans un milieu avec un capital culturel fort.
Pour un tel élève, ce sens est une évidence. Lorsqu’il rentre chez lui, il peut en discuter avec ses parents, sa famille, ses proches. Il a dans son entourage des exemples de parcours réussis.
Il sait que les connaissances, les savoirs, la culture, nourrissent non seulement son esprit, mais le monde qui l’entoure. Il vit, en somme, au quotidien, le sens de ce qu’apporte l’Ecole.
Mais c’est une minorité d’élèves.
Si vous n’avez pas leur chance. Si vous n’avez pas cette possibilité de vivre pleinement ces complémentarités. Si vous n’avez, sur l’après-bac, qu’une idée confuse.
Si les parcours possibles vous sont inconnus.
Si – au-delà de la surface des choses – vous ne voyez pas la complexité des liens
qui unissent encore aujourd’hui le passé au présent, ou comment la Poétique 23
d’Aristote nourrit l’écriture scénaristique des séries d’aujourd’hui, eh bien vous en restez à la superficialité du monde contemporain. Et vous la subissez.
Oui, nos élèves subissent de plein fouet une société de consommation qui déploie un discours puissant, dominant, qui sape le sens, masque les complémentarités, et occulte l’importance de la connaissance.
Et ils ne savent pas toujours quoi répondre à tous les « Ah quoi bon ? » qui résonnent au fil des émissions de télévision et des publicités.
Ils ne savent pas quoi dire quand certains considèrent que sans Rolex, la vie ne vaut pas la peine d’être vécue, ou s’étonnent que l’on fasse lire un roman du XVIIe siècle, parce que sincèrement, « A quoi ça sert ? ».
Et ce discours dominant place l’Ecole dans une situation inédite.
Car pendant longtemps, l’élève, en quittant l’école, rentrait dans une société où l’on avait, au moins dans les discours, le respect du savoir, le respect de la connaissance et de la pensée, le respect de l’enseignant. Ce n’est plus le cas.
Et c’est cette situation qui rend encore plus urgente la remise en évidence des complémentarités, et la démocratisation du savoir, des connaissances et de la culture qui sont au cœur de la Refondation de l’Ecole.
Nous renouons ainsi avec l’humanisme, qui n’a cessé de valoriser le dépassement de soi, le travail, l’effort, et en même temps la conscience de ce qui nous unit.
6. On trouve souvent, aujourd’hui, des comparaisons avec les années 1930.
C’est une référence possible – mais je me méfie toujours un peu des rapprochements hâtifs que l’on fait avec cette période.
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Cependant je crois – c’est le sens de l’Histoire – que la connaissance du passé est aussi au cœur de présent. Non pour nous entraver dans une nostalgie passéiste. Mais pour nous inspirer et faire de nous les acteurs de notre avenir. Et il existe une période propre à nourrir notre élan présent.
Une période de crises et de violence. Une période marquée par des conflits civils, des divisions et des faillites financières. Je veux bien entendu parler de la Renaissance.
Quand on dit Renaissance aujourd’hui, on en a souvent une vision un peu idyllique. On pense, rayonnement culturel, on voit des discussions détachées entre les grands esprits de ce temps, on imagine des ateliers de peintre baignés d’une lumière italienne.
Mais l’humanisme est né dans une Florence en ruines, ravagée par la peste. L’humanisme est né au sein des guerres et des déchirements. Et les grandes découvertes elles-mêmes, que nous saluons tant, ont nourri une inquiétude, un ébranlement des consciences.
Je crois qu’il en va de même aujourd’hui.
Copernic, Galilée, Kepler, ont montré que la terre était une planète comme les autres.
Les travaux de nos chercheurs sur le réchauffement climatique nous rappellent qu’elle est profondément singulière, fragile, et que nous avons le devoir de la préserver – et c’est bien la raison pour laquelle j’ai voulu aussi qu’il y ait, dans nos écoles, une éducation au développement durable.
La Renaissance a connu l’imprimerie : nous avons avec internet une technologie formidable – mais il nous appartient de lui donner du sens, et d’en offrir à nos élèves une véritable connaissance.
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Ils savent peut-être s’en servir. Il n’est pas certains qu’ils le maîtrisent. L’Ecole doit rendre à l’outil la place qui est la sienne : au service de l’humain, et non l’humain asservi par l’écran.
La Renaissance a marqué, dans l’appréhension même de l’éducation des enfants, une période profondément innovante.
Je vous invite, sur ce point, s’il en était besoin, à relire Montaigne et Rabelais. Ils insistent justement sur la nécessité de lier sans cesse la connaissance, à la pratique, et même à cette dimension ludique que l’on nous reproche de rappeler en maternelle et au primaire.
C’est précisément l’enjeu de la refondation, que d’amener non pas une nouvelle façon d’enseigner, mais d’étendre, de démocratiser des relations à la culture, aux savoirs, et aux connaissances, qui seraient sans cela réservées à une minorité.
Et c’est d’ailleurs cette même volonté de démocratiser qui nous a conduits à ne plus faire de l’enseignement des langues de l’antiquité une option – trop souvent réservée à quelques-uns – mais une richesse et une ressource offertes à tous nos élèves.
Car l’humanisme n’est pas une idée figée. Un contenu fixe. C’est une pensée profondément marquée par la volonté de se nourrir du passé, pour faire face au présent, et construire l’avenir.
Etre humaniste, c’est être sensible aux singularités des histoires et des époques. C’est relever les défis du monde contemporain.
Messieurs, nous ne sortirons des crises que nous traversons, que par le haut. Par les valeurs. Par la connaissance. Par la formation et l’éducation. Et par leur nécessaire démocratisation.
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Nous ne relèverons les défis, et ils sont nombreux, qu’en remettant au cœur de l’Ecole, et au cœur de la société, deux choses profondément liées: la République d’une part. L’Humanisme d’autre part.
Et c’est là, je crois, messieurs, ce qui nous rassemble aussi ce soir, en ce lieu.
Voilà pourquoi je tiens à conclure ce discours, après avoir l’avoir commencé par les mots Saint-Exupéry sur la diversité, en rappelant l’importance de notre commune humanité, avec ceux de Felix Eboué :
« Les pauvres humains perdent leur temps à ne vouloir considérer que les nuances qui les différencient, pour ne pas réfléchir à trois choses précieuses qui les réunissent:
les larmes que le proverbe africain appellent "les ruisseaux sans cailloux ni sable",
le sang qui maintient la vie et, enfin, l'intelligence ».
Je vous remercie.
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