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Ce 14 Juillet 2016, la Marseillaise a résonné place de la Concorde, et on a pu entendre certains commentateurs évoquer son histoire… avec moult omissions, ou plus grave, erreurs !
Alors, pourquoi pas tenter de rétablir quelques faits…
Œuvre de circonstance qui allait connaître une destinée exceptionnelle, née un peu avant la fameuse « carmagnole », la « Marseillaise » trouve son origine dans une tradition : à la demande du maire de Strasbourg, le baron de Dietrich, un officier de l’armée républicaine, Rouget de Lisle, écrivit les paroles d’un  chant de guerre pour l’armée du Rhin et en improvisa l’aire sur son violon dans la nuit qui suivit la proclamation de la guerre, celle du 25 au 26 Avril 1792 .
L’épouse du maire ajouta une partie de clavecin à la mélodie de Rouget de Lisle. Ainsi fut donc créé ce chant de guerre chez les Dietrich !

On sait que, devenue célèbre à paris après le 10 Aout sous le nom de « hymne des Marseillois », la Marseillaise fut chantée dans la France entière puis à travers l’Europe par les armées de la Révolution et de l’Empire.
Remarquons qu’à cette époque, on chantait : marchez, marchez et non marchons, marchons… et également que ne figurait pas le 7ème couplet, dit « des enfants », qui n’est pas de Rouget de Lisle ( ni de Marie-Joseph Chénier comme on l’a parfois affirmé) : ce couplet semble avoir été écrit dès juillet 1792 par l’abbé Pessonneaux pour ses élèves du collège de Vienne ( Isère) :


Nous entrerons dans la carrière
Quand nos aînés n’y seront plus
Nous y trouverons leur poussière
Et la trace de leur vertu.
Bien moins jaloux de leur survivre
Que de partager leur cercueil
Nous aurons le sublime orgueil
De les venger ou de les suivre

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Ainsi dit l’histoire…Ce couplet supplémentaire mis à part, on peut quand même s’interroger sur les conditions dans lesquelles Rouget de Lisle a pu écrire en quelques heures ses six couplets plus le refrain et composé la mélodie, lui, qui de l’avis de ses contemporains était un médiocre musicien ?
Faut-il croire au coup de génie ? Ou alors, l’exaltation patriotique née de la déclaration de la guerre et du souper chez les Dietrich explique t-elle une réussite aussi exceptionnelle ?
On sait que pour les paroles, Rouget s’est largement inspiré des proclamations et des discours enflammés qui avaient alors cours dans les clubs populaires et dans l’armée. Le bataillon de volontaires auquel il appartient s’appelle « enfants de la patrie » : il commence tout naturellement par : Allons enfants de la patrie… il a aussi en tête les formules enthousiastes d’une affiche de la « Société des amis de la Constitution » apposée le jour même dans Strasbourg :
« Aux armes citoyens ! L’étendard de la guerre est déployé, le signal est donné. Aux armes, il faut combattre, vaincre et mourir.
Aux armes citoyens ! Si nous persistons à être libres, toutes les puissances de l’Europe verront échouer leurs sinistres complots. Qu’ils tremblent ces despotes couronnés ! l’éclat de la liberté luira pour tous les hommes. Vous vous montrerez dignes enfants de la liberté ; courez à la victoire, dissipez les armées des despotes, immolez sans remords les traîtres, les rebelles qui, armés contre la patrie, ne veulent y entrer que pour faire couler le sang de nos compatriotes !...
Marchons, soyons libres jusqu’au dernier soupir, et que nos vœux soient constamment pour la félicité de la Patrie et le bonheur de tout le genre humain. »
C’est dans cette matière patriotique que Rouget va puiser les images et les formules les plus caractéristiques de son hymne guerrier.
Et la musique ? n’y a-t-il pas un petit mystère dans cette composition brillante, sans précédent et sans lendemain dans l’œuvre musicale de Rouget ? Qui a été e »n fait le véritable compositeur ? On cite de nombreuses réminiscences et emprunts à un air de « Sargines », Opéra de Dalayrac créé à Paris en 1788 et un petit air allemand apporté à paris par le compositeur Guillaume Navoigille. On évoque également quelques mélodies de l’époque qui présentent des ressemblances avec des passages de la Marseillaise : un air de la flute enchantée de Mozart, un rondeau des visitandines de Devienne, un air de l’allegro initial du 25° concerto en ut pour piano et orchestre écrit fin 1786 par Mozart…
On a dit aussi que la mélodie aurait été écrite par Ignace Pleyel dans cette nuit du 25 au 26 avril, et qui aurait préféré rester anonyme…hypothèse curieuse car il semblerait qu’à ce moment Pleyel était à Londres…
Après tout, considérons que Rouget de Lisle a eu le rare bonheur de bénéficier d’un incroyable génie !

 Toujours est-il que la version strasbourgeoise du chant de guerre la marche des Marseillois fut vite transformée et présentée triomphalement le 02 octobre 1792 à l’Opéra de Paris , puis, devenue la Marseillaise, somptueusement « habillée » en 1830 par Hector Berlioz.
Après la disparition de la 1ere république et pendant des décennies, les gouvernements monarchiques tentèrent de la faire oublier. Elle ressurgit lors des révolutions de 1830 et de 1848, puis à nouveau oblitérée sous le Second Empire. Réintroduite officieusement dans les mois qui précédèrent la guerre de 1870, elle triompha pendant celle-ci et la Commune de Paris.
Officialisée seulement en 1879 par la III° république, notre hymne national, s’il conserve toujours ses paroles belliqueuses fut appauvri musicalement à l’usage des enfants des écoles, des fanfares municipales et militaires !

Elle fut parfois utilisée, de 1870 à nos jours, comme couverture patriotique des agissements de la grande bourgeoisie contre les intérêts du prolétariat, lors des guerres coloniales, lors de manifestations réactionnaires…
A tel point que de nombreux travailleurs, avant et après la guerre de 1914/1918 qui laissa exsangue la France « victorieuse », la rejetèrent au profit de l’Internationale qui symbolisait leurs espérances.
Cependant tout au long du XIX° siècle, chez certains peuples de l’étranger qui aspirait à leur libération, la Marseillaise fut le chant de combat, non seulement des prolétaires révolutionnaires mais aussi d’éléments républicains ou libéraux de la bourgeoisie.
En France enfin, la classe ouvrière a amplifié pendant et  après la seconde guerre mondiale le mouvement commencé sous le Front populaire : reprendre la Marseillaise à la bourgeoisie défaillante et en refaire la chose du peuple !
Si on oublie tout le reste, toutes les autres récupérations et dévoiements, n’est ce pas là un destin prodigieux !

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