Il faut donner son nom à la barbarie

par Patrick Kessel, président du Comité Laïcité République - 17 novembre
C’est la guerre entre civilisation et barbarie. Le mot n’est pas de nous mais du président tunisien Beji Caïd Essebsi, au sortir de l’Elysée, le lendemain des massacres perpétrés à Paris par des islamistes radicaux. La terreur barbare qui a frappé la capitale n’est en effet pas un conflit entre monde judéo-chrétien et monde musulman, comme certains aimeraient à nous le faire croire. Rappelons, une fois encore, que les musulmans sont les premières victimes de l’islamo-fascisme au Proche et au Moyen-Orient et que les citoyens français de culture musulmane, pour l’immense majorité d’entre eux, souhaitent vivre dans la plénitude des droits et devoirs de la citoyenneté. Méfions-nous donc de ceux qui amalgament et voudraient exploiter la peur avec des arrières-pensées électorales.
Pour autant, ne soyons pas aveuglés par la peur de donner un nom à la bête immonde. En janvier, en frappant l’équipe de Charlie Hebdo, les assassins voulaient châtier ces caricaturistes engagés au service de la liberté de conscience et de la laïcité. Cette fois, c’est à quelques encablures de la statue de la République qu’ils ont commis leurs sordides assassinats. Un symbole qui ne doit rien au hasard.
Dans les jours et les semaines qui ont suivi l’attentat contre Charlie, certains, en parlant des caricaturistes, ont cru pouvoir susurrer qu’ "ils l’avaient un peu cherché", faisant des victimes les quasi-coupables de leurs propres crimes. Et là, ces femmes et ces hommes, jeunes pour la plupart, l’avaient-ils un peu cherché ?
Le traumatisme ressenti par le pays et la pudeur due aux victimes et à leurs parents, interdisent toute polémique. Mais, le combat contre la barbarie nécessite de lui donner son nom, ici et maintenant. Ce n’est ni une religion, ni un peuple qui attaquent la République, mais un mouvement politique fondé sur une idéologie obscurantiste, l’islamo-fascisme. Une idéologie fondée sur la haine de l’Occident, des Lumières, de l’universalisme, de la liberté de conscience et de l’égalité des droits, des Juifs, de l’autonomie de l’individu. Reposant sur la peur des femmes. Croissant sur la haine de la vie. Une idéologie qui, au nom d’une prétendue identité communautaire, voudrait décréter une guerre des civilisations et enrôler dans ses rangs, y compris des jeunes de nos cités. Une idéologie qui prend l’immense majorité des musulmans en otage, quand elle ne les assassine pas.
La République laïque est la seule à pouvoir rassembler tous les citoyens au-delà des appartenances religieuses, philosophiques, politiques, ethniques, sexuelles. Elle doit être intraitable pour rejeter tout amalgame et combattre toutes les formes de racisme. Elle doit aussi être forte pour identifier clairement la menace et repousser les assauts des idéologies différentialistes qui contribuent à fragmenter la société en communautés et à fragiliser une citoyenneté fondée sur les principes universalistes des Lumières. Elle doit être sans état d’âme pour défendre une éthique de la liberté qui ne se résume pas au plaisir d’ "être ensemble".
Au lendemain de ces actes barbares, le mutisme et le déni ne seraient pas de mise. Un débat doit s’ouvrir dans le pays, sans céder aux invectives et parfois aux injures. Sans avoir peur des mots qui constituent les briques d’une pensée libre. A défaut, les républicains des deux rives prendraient l’immense responsabilité d’ouvrir à l’extrême droite de larges allées vers le pouvoir.

Patrick Kessel
président du Comité Laïcité République