Discours de Daniel KELLER, Grand Maître du GODF, lors des hommages rendus à Jean ZAY et Pierre BROSSOLETTE les 11 et 12 juin 2015

Madame Catherine Martin-Zay,

Madame Hélène Mouchard-Zay,
Monsieur le Président de l’Association Jean Zay au Panthéon, cher Jean-Michel Quillardet,
Cher V∴ M∴ de la R∴L∴ Etienne Dolet,
Messieurs les anciens Grands Maitres du G.O.D.F,
Monsieur Henri Jean, concepteur de la stèle que nous inaugurons ce jour,
Mes TT∴ CC∴ FF∴ et mes TT∴ CC∴ SS∴,
Chers amis,
Mesdames et Messieurs,
Ce jour est pour le G.O.D.F. un jour d’émotion et de fierté. Emotion quand on pense au chemin de souffrance de Jean Zay, fierté aussi de constater que le long combat pour Jean Zay au Panthéon a finalement triomphé, au prix d’une ténacité de tous les instants, lors de l’annonce par Monsieur le Président de la République au Mont Valérien le 21 Février 2014.
Qu’hommage soit rendu à la R∴ L∴ Etienne Dolet d’Orléans qui la première s’est mobilisée ainsi qu’à l’Association Jean Zay au Panthéon qui prit le relais. Toute ma gratitude également  à tous les Grands Maîtres qui depuis Jean-Michel Quillardet se sont succédés et reprirent inlassablement le flambeau. Qu’ils soient remerciés pour avoir su manifester cet esprit de continuité sans lequel nulle action ne saurait aboutir, et j’en profite pour saluer Guy Arcizet ici présent et qui fut l’un d’eux.
Né le 6 août 1904, Jean Zay est l’exemple d’une carrière fulgurante qu’un destin tragique brisa : Député à 27 ans en 1932, Secrétaire d’Etat en 1936 et Ministre de l’Education Nationale quelques mois plus tard. Mais à peine la guerre commencée, celui-ci démissionna de ses fonctions le 2 septembre 1939 pour s’engager dans l’armée. En juin 1940 il rejoint Bordeaux. Le 21 juin il est de ceux qui s’embarquent sur le Massilia pour poursuivre le combat depuis l’Afrique et non pour déserter comme le régime de Vichy tentera de le faire accroire. Sur le bateau, il retrouve alors Pierre Mendès France. A peine arrivé à Casablanca il est consigné puis renvoyé le 15 août en métropole en état d’arrestation.
Interné à la prison de Clermont Ferrand le 20 août 1940, il est condamné pour désertion le 4 octobre puis à la déportation au bagne. Sa peine est commuée en internement. Il est alors incarcéré à la prison de Riom le 7 janvier 1941. Le 20 juin 1944 alors que la victoire commence à se dessiner, il est assassiné au lieu dit de Malavaux dans la faille du puits du Diable à Molles dans le département de l’Allier.
Le 5 juillet 1945, la cour d’appel de Riom annule le jugement d’Octobre 1940 et réhabilite Jean Zay à titre posthume.
Le 15 mai 1948 il est inhumé au cimetière d’Orléans. Le 27 mai 2015 ses cendres sont transférées au Panthéon.
Ce court résumé ne prétend pas restituer la vie dense et fiévreuse qui fut celle de Jean Zay. Ces quelques lignes ne sauraient résumer la vie de celui qui fut un Franc-maçon en politique, celle d’un homme dont les convictions et la rectitude morale donnèrent à son engagement politique la hauteur de vue d’un authentique républicain.
Jean Zay était fils de maçon et fut même élevé au grade de compagnon en même temps que son propre père. Initié à la RL Etienne Dolet à l’Orient d’Orléans, il fut un maçon engagé dans la vie de sa Loge dont il occupa le plateau d’Orateur.
Son œuvre politique fut consacrée entièrement à cette volonté d’améliorer l’homme et la société qui est si chère aux francs-maçons. Cette ambition trouva à s’exprimer dans la prolongation de la scolarité obligatoire de 13 à 14 ans, la création des bibliothèques mobiles pour tous, dans la mise en place du collège unique en imposant le même programme au primaire supérieur et au premier cycle du 2nd degré, dans sa volonté de démocratiser la haute fonction publique en créant une école chargée de former les futurs hauts fonctionnaires et qui préfigurait la future Ecole Nationale d’Administration. Mais il faudrait aussi évoquer le projet de création du C.N.R.S. ainsi que celui du festival de Cannes.
Jean Zay fut l’artisan infatigable d’une démocratisation de la société par le savoir, convaincu qu’il était de la puissance émancipatrice de la connaissance et de la culture. Le progrès par l’éducation fit de lui le digne descendant de Condorcet. Mais Jean Zay faut aussi le militant de la justice sociale. De telles ambitions politiques étaient bien sur le fond des ambitions maçonniques.
Le Président de la République associa dans son hommage Jean Zay à la laïcité. Comment ne pas constater l’actualité des circulaires ministérielles de 1936 et 1937 qui mettaient alors en garde contre la propagande politique et religieuse à l’école ? Elles semblent avoir été écrites pour les temps présents et nous rappellent que la laïcité déjà était le seul ciment possible d’une société à l’abri des injonctions dogmatiques de toute nature.
La réclusion de Jean Zay fut celle de la République, une République bâillonnée, puis assassinée, cette République dont Jean Zay fut le martyr parce qu’il était juif, franc-maçon et radical-socialiste.
A un moment où la République est de nouveau malmenée, il est important pour les Francs-Maçons du G.O.D.F. de s’inspirer de l’engagement de Jean Zay, des convictions qui étaient les siennes. Son combat pour l’école est encore le nôtre, l’école lieu du savoir où apprendre veut dire d’abord comprendre ; l’école sanctuaire où se fabrique l’éthique républicaine sans laquelle la République n’est qu’un mot périssable ; l’école lieu de la transformation à venir de la société, lieu d’une révolution sans violence, une révolution qui prétend élever l’individu et non l’asservir ; une école toujours à refonder car si son ambition reste la même aujourd’hui qu’hier, encore faut il qu’elle sache comprendre que le monde change.
Jean Zay fut un ministre bâtisseur. Aussi au nom du G.O.D.F. je suis particulièrement fier d’inaugurer cette stèle en présence de Catherine et d’Hélène les filles de Jean Zay. Je profite de ces instants pour rendre hommage au concepteur de la stèle, le sculpteur Henri Jean. Qu’il soit remercié pour la créativité dont il a fait preuve. Son œuvre vient donner à notre Hall la solennité dont la franc-maçonnerie doit savoir s’entourer lorsqu’elle se tourne vers ceux qui peuvent être regardés comme ses pères fondateurs.
J’invite désormais Mesdames Catherine Martin-Zay et Hélène Mouchard-Zay à m’accompagner pour dévoiler cette stèle.
Ce faisant, je vous remercie de votre attention.
 
Discours de Daniel KELLER, Grand Maître, Président du Conseil de l’Ordre
Lors de l’hommage rendu à Pierre Brossolette à Troyes le 12 juin 2015
 
Monsieur le Maire adjoint,
Mesdames et Messieurs les Elus,
Madame Anne Brossolette Branco,
Madame Isabelle Brossolette Branco,
Monsieur Miguel Brossolette Branco,
Mes Très Chères Sœurs et mes Très Chers Frères,
Chers amis,
Mesdames et Messieurs,
Lors de la cérémonie de Panthéonisation du 27 Mai dernier, la République a rendu hommage aux Francs-Maçons que furent Jean Zay et Pierre Brossolette, deux figures exemplaires du combat pour la liberté, réunis dans un destin tragique par-delà la différence de leur chemin de douleur. C’est pour Pierre Brossolette que nous sommes aujourd’hui réunis à Troyes, sur cette place qui rappelle l’homme qu’il fut.
Pierre Brossolette est un homme dont l’engagement maçonnique fut précoce. Il fut initié à la G.L.D.F. dans la RL Emile Zola le 3 Juin 1927, à 24 ans. Loge dans laquelle il devint Maître en 1930, où il occupa des fonctions, Loge qu’il représenta au Convent de son Obédience. Méditons en ces instants la précocité de cet engagement dans une époque où la jeunesse ignore trop souvent ce qu’est la franc-maçonnerie.
L’engagement de Pierre Brossolette dépassa les contingences obédientielles. Candidat aux législatives dans l’Aube en 1936, il s’affilie peu après dans une Loge du G.O.D.F., L’Aurore Sociale, à Troyes, montrant par la même son attachement aux principes fondateurs de la Franc-Maçonnerie, soucieux avant tout de conjuguer l’engagement maçonnique et l’engagement profane comme si ces deux engagements n’étaient que les deux faces d’une même cause, car ils ne sont que les deux faces d’une même cause.
La Franc-Maçonnerie est fille des Lumières, elle voue un culte à la Raison, mais c’est aussi un ordre initiatique qui essaie de comprendre la nature humaine dans toute sa complexité, raison et passion, réflexion et sentiment pour forger une éthique de l’engagement.
Alors qu’il est un combattant de l’ombre, Pierre Brossolette n’abandonnera pas cette réflexion sur la complexité de la nature humaine. Réfléchissant à la pensée de Marx, il dira qu’elle est un aboutissement du rationalisme en soulignant que les passions matérialistes n’étaient pas le seul moteur de l’individu. Il y a dans tout homme un élément passionnel irréductible sans lequel on ne peut comprendre les grands sursauts individuels et collectifs.
Ecrivant ceci, dans des cahiers non retrouvés, en 1943, au cœur de la nuit du combat, Pierre Brossolette mit en abîme l’engagement qui fut le sien, le choix qu’il fit d’œuvrer à l’honneur de la France, de s’engager au péril de sa vie. Sa réflexion englobait aussi l’audace de toutes celles et de tous ceux qui choisirent l’honneur au péril de leur vie plutôt que leur vie au péril du déshonneur. Pierre Brossolette fut en cela un vrai maçon, un maçon que nous avons tous dans notre temple intérieur. Il en est la figure solaire foudroyée par la tragédie de l’Histoire. Comment ne pas entendre avec émotion, au vu du destin qui fut le sien, lors de notre initiation en tant que Franc-Maçon, l’énoncé de la formule selon laquelle on préfèrerait avoir la gorge tranchée plutôt que de révéler les secrets qui nous ont été transmis ?
Ces maximes à résonance symbolique paraissent parfois grandiloquentes, elles renvoient à une histoire où la réalité et le mythe s’entremêlent, mais Pierre Brossolette nous rappelle qu’elles constituent l’éthique du Maçon.
La Maçonnerie commande aussi de répandre en dehors du temple les vérités qu’on y acquiert. Cette formule répétée à l’issue de chaque tenue n’a parfois hélas qu’une portée rituellique. Sachons nous regarder dans le miroir pour mesurer la consistance qu’on lui donne au long de notre existence. Mais là encore le destin de Pierre Brossolette nous rappelle que ce travail peut aller jusqu’au risque de soi et que parfois il doit aller jusqu’au risque de soi. C’est ce qui fait un homme droit, debout, non pas un homme de légende, mais un homme d’action ici et maintenant. Brillant élève qui fut reçu major au concours de l’Ecole Normale Supérieure et fut agrégé d’Histoire, Pierre Brossolette préféra la dure exigence de l’action aux cimes silencieuses de la pensée.
Comme journaliste, dénonçant la guerre d’Espagne, répétition macabre de la catastrophe à venir, les accords de Munich qui virent déjà triompher l’esprit de capitulation, défendant la SDN, un projet de francs-maçons, commentateur lucide qui alertait avant les autres que l’impuissance et le renoncement des démocraties pavaient le sentier du malheur.
Comme soldat, mobilisé en Août 1939, il fit face à l’ennemi, fit preuve de courage pour maintenir l’unité de ses troupes au pire moment de la débâcle. Au milieu de celle-ci, Pierre Brossolette eut toujours la volonté de sauver sa compagnie et il y parvint.
Il fut décoré de la Croix de Guerre que le régime de Vichy, ce régime de l’indignité sans nom, devait rapidement lui retirer.
Comme résistant, Pierre Brossolette fut un combattant de la première heure quand dans l’hiver 40-41, il rencontra le groupe du Musée de l’Homme où il retrouva Jean Cassou, Agnès Humbert, Maurice Abraham, Jean Duval et tant d’autres.
Cet engagement honore la Franc-Maçonnerie car ce fut un engagement de conviction où se conjugait la conscience immédiate du désastre et l’espoir infatigable de la victoire. L’espérance fait le maçon à condition qu’elle soit liée à l’action. La truelle dans une main, l’épée dans l’autre. Tel un chevalier le Franc-Maçon avance pour délivrer le monde de la souffrance et de l’oppression. Pierre Brossolette fut ce grand Connétable allant au devant du danger sans redouter le sacrifice de soi, semblant même l’avoir accepté si ce n’est le revendiquer, comme si son martyr devait être le creuset de la rédemption de la Nation.
Vint rapidement le temps de la résistance active entre Paris et Londres. La volonté de rassembler la résistance intérieure pour l’unifier et préparer l’après guerre. Pierre Brossolette déclarera qu’il ne souhaitait pas être « un rond de cuir de la Résistance » préférant le combat au constat. Mais là encore on retrouve le Franc-maçon toujours soucieux de rassembler ce qui est épars, de rassembler tous ceux qui sans la Franc-Maçonnerie se seraient ignorés.
La volonté de restaurer la République ne l’a jamais quitté, par patriotisme, par sens de l’humanisme, par certitude que l’humanité ne pouvait définitivement sombrer.
Maurice Schumann dira de Pierre Brossolette : « avant lui, je croyais à la flamme de la Résistance, après lui je crus à sa force ». Créer la France Nouvelle, là encore il s’agit de l’œuvre d’un maçon, la volonté de bâtir une société où tous les hommes et toutes les femmes pourraient enfin vivre en paix et en harmonie.
Telle était l’étoile flamboyante de Pierre Brossolette, l’incarnation de la République universelle à laquelle nous croyons et qui devait conduire à ne pas laisser renaître « la France comitarde d’hier ». La France Combattante était le cœur, le sanctuaire d’où cette France Nouvelle devait naître. Pierre Brossolette en était le héraut, il fut dans son combat le centre de l’union que l’on cherche en franc-maçonnerie.
S’il fut radié de la fonction publique parce que franc-maçon, il fut pour l’honneur de la France résistante, Compagnon de la libération en 1942, avant d’intégrer le Conseil de l’Ordre de la Libération, puis le Conseil National de la Résistance. Le Général de Gaulle lui attribua la Croix de guerre pendant que Vichy lui retirait la nationalité française.
A lui seul Pierre Brossolette syncrétise dans son destin le conflit des deux France, la France qui pourchassa la République, les Francs-maçons et les juifs, pensons en ces instants à Jean Zay, et auxquels elle n’eut de cesse de faire payer leur engagement, cette France qui ne cessa de le traquer, mais aussi cette France de lumière, la France combattante. « L’Histoire un jour dira ce que chacun d’eux a dû devoir accomplir pour retrouver dans la France combattante son droit à la mort et à la gloire » dit dans cet esprit Pierre Brossolette dans un discours à l’Albert Hall à Londres en 1943.
Lors d’une rencontre qui devait être la dernière, Pierre Brossolette dit à sa sœur, conscient de la fin tragique qui serait vraisemblablement la sienne, « on voudra me faire parler… le mieux est que je disparaisse avant même qu’on m’interroge : j’en ai les moyens ! ».
C’est dans la tentative malheureuse de gagner les côtes anglaises dans la nuit du 2 au 3 Février 1944, que Pierre Brossolette eut rendez vous avec son destin. Une traversée manquée, une arrestation de routine, allaient être les stations de son martyr à un moment où les beaux quartiers parisiens avaient été transformés en lieu de torture.
La franc-maçonnerie recherche la vérité, sans concession, elle est notre boussole, elle nous rappelle qu’être Franc-Maçon c’est avoir le sens élevé de l’intransigeance. Lors d’une manifestation commémorative à la Sorbonne, le 22 Mars 1945, René Pléven, Ministre des Finances, qui fut son ami déclarait : « Je n’ai jamais connu Brossolette acceptant un compromis avec ce qu’il croyait juste ou vrai ». Aucune préoccupation d’intérêt ne l’a jamais fait dévier de ce qu’il croyait la bonne voie ».
En ces temps où la République connaît des tensions, où le destin semble hésiter, à un moment où les Français semblent prompts à nouveau à se diviser, à oublier que ce qui les unit est plus fort que leurs éternelles querelles, il n’est pas inutile de rappeler la figure de Pierre Brossolette. Il n’est pas un simple mot d’or sur nos places, son souvenir ne doit pas s’effacer car c’est dans la conscience toujours vive et présente de l’action de ceux qui ont fait la France que notre pays saura trouver le chemin de lumière qui doit être le sien.
Au nom de tous les Frères et de toutes les Sœurs réunis dans cette chaine d’union impérissable qui nous unit à tous nos Maîtres vénérés qui nous ont précédés hier, je veux exprimer l’infini sentiment de reconnaissance et d’humilité que nous inspire encore aujourd’hui la vie et l’œuvre de Pierre Brossolette, une vie et une œuvre de combat consacrée à la France et à la République.
Vive la République ! Vive la France !