Le Grand Maître,
Président du Conseil de l'Ordre
 
Allocution à la Tenue mémorielle de la R∴L∴France Arménie 24 Mai 2015
 
 
VV∴MM∴en chaire,
VV∴MM∴ à l’Orient,
Dignitaires des Obédiences amies,
Mes TT∴ CC∴FF∴Conseillers de l’Ordre,
 
C’est à un moment particulièrement solennel que la Loge France Arménie nous a conviés en ce midi. Il y aura cent ans dans quelques jours, le peuple arménien empruntait malgré lui le chemin de la mort. Ce fut d'abord le dramatique destin des conscrits qui servaient dans l'armée puis ce fut le tour des élites civiles avant que la population des anonymes ne subisse enfin le même sort. Triste cortège de martyrs, victimes d’une fatalité qui fut un supplice, boucs émissaires d’une haine aveugle annonciatrice de la longue théorie des exterminations qui resteront la marque tragique du XXème siècle.
De mars 1915 à février 1916 l’extermination implacable, systématique et méthodique de tout un peuple vint ajouter au malheur de l'humanité par delà les atrocités de la Grande Guerre qui sévissait alors. Nos frères et amis arméniens connurent les exécutions sommaires, l’asservissement du travail forcé, la déportation et comme épilogue d’une longue souffrance l’anéantissement des enfants.
Plus d’un siècle après ces tourments, alors que les témoignages s’estompent et font place au travail mémoriel, en ce jour qui nous réunit comment ne pas évoquer la mobilisation spontanée des Francs-Maçons pour la cause arménienne, mobilisation où nous retrouvions au premier rang les membres de la jeune loge France Arménie ? Ma pensée se tourne notamment vers notre Frère Aroutunian qui dès 1920 interpellait le Convent du Grand Orient de France. Comment ne pas entendre les déclarations d’alors rappelant l’attachement des Francs-Maçons à l’Arménie considérée comme « le trait d’union naturel entre l’Orient et l’Occident » et soulignant alors que « la question de l’Arménie au G.O.D.F. était sainte et sacrée et hors de discussion » ?
Il faut bien entendu faire la part de la position de nos Frères d’alors souvent plus prompts à regarder l’avenir avec espoir qu’à faire l’inventaire de la tragédie qui venait d’avoir lieu. Ils exprimaient le vœu que l’avenir de l’Arménie soit placé sous la garantie de la SDN. On sait ce qu’il en fut. Et puis vint aussi le temps de l’oubli.
Néanmoins le G.O.D.F., dans une période plus proche de nous, a su réaffirmer son soutien à la cause arménienne. Je pense au message fraternel adressé par le Grand Maître Philippe Guglielmi lors du 80ème anniversaire de la Loge France Arménie à notre Frère Jacques Balian et demandant qu’il soit rendu justice aux arméniens. Il rappelait alors que la République française ne pouvait que s’enorgueillir qu’après tous les massacres et déportations subis, vos ancêtres et vous-mêmes ayez si bien servi notre pays. Je pense également aux positions exprimées par le G.O.D.F. devant la Grande Loge Libérale de Turquie avec laquelle nous entretenons des relations fraternelles, par la voix du Grand Maître Jean Michel Quillardet en 2007 sur la reconnaissance de l’extermination dont le peuple arménien fit l’objet, sans qu’il s’agisse pour autant de vouloir culpabiliser le peuple turc d’aujourd’hui.
L’histoire n’est pas un tribunal mais elle sert à comprendre et son rôle est de permettre le rapprochement des peuples.
L’histoire ne doit pas être l’instrument de la politique, elle n’a pas vocation à régler les problèmes d’aujourd’hui en prenant le passé en otage ; elle doit au contraire régler les divisions d’hier pour libérer le présent et l’avenir.
Affronter l’histoire est un processus encore plus douloureux quand il n’est pas le fruit d’un partage, d’une mutuelle reconnaissance où la contrition et le pardon ne sont que les deux faces d’une seule et même réconciliation.
A un moment où le chaos semble s’installer sur les marches de l’Orient, il est encore plus urgent de restaurer l’esprit de concorde sans lequel la haine engendrera toujours plus de conflits. Il est impératif de restaurer des espaces de stabilité à partir desquels la paix pourra regagner du terrain. Plus que jamais le rôle de trait d’union qui est le vôtre, doit être la vocation de l’Arménie de demain. Une telle mission ne pourra se concevoir que sur la base d’une concertation régionale.
Je voudrais souligner la dimension intrinsèquement maçonnique du travail à entreprendre. Il nécessite une prise de distance, de l’écoute, un esprit de compréhension mutuelle, autant de qualités qui font défaut au monde profane.
Il s’agit bien entendu d’un travail qui requiert aussi un sens profond du dépassement de soi, des préjugés et des pesanteurs héritées de l’histoire, une volonté de bâtisseur, l’envie de construire un monde commun qui repousse la confrontation entre le faible et le fort.
C’est pourquoi, dans un monde exposé aux risques de dislocation qui touchent tout particulièrement cette région du monde, le Grand Orient est disponible pour apporter sa contribution à ce qui pourrait être un travail de vérité et de réconciliation retraçant la genèse et les étapes de l’extermination d’une population dans le contexte de la Première Guerre Mondiale qui ensanglanta l'Europe.
Ce travail doit s’appuyer sur les cadres légaux en vigueur.
La France en reconnaissant le génocide arménien dans la loi du 29 janvier 2001 n’a cherché ni à stigmatiser ni à provoquer. Elle a simplement voulu, de manière symbolique, recouvrir du linceul qui lui avait été refusé le million cinq cent mille victimes arméniennes.
Le droit nous saisit également à travers l’instance en cours également devant la CEDH. Dans quelques mois, on en sera un peu plus sur les limites raisonnables qui peuvent être imposées à la liberté d’expression. Mais n’oublions pas que le juge règle le plus souvent des conflits sans toujours être en mesure de produire la concorde.
L’incapacité des hommes à s’entendre reste la principale faiblesse d’une humanité dont nous souhaitons qu’elle s’améliore. Cette ambition n’est pas pour les Francs-Maçons un simple rêve lointain et évanescent. Elle est l’expression d’une volonté de changer le monde à travers des actes dont la dimension symbolique éternise l’action de leurs porte-paroles et grandit l’humanité toute entière. Pensons en ces instants à l’agenouillement de Willy Brandt à Varsovie, à la reconnaissance du rôle de l’Etat Français dans la déportation des Juifs du Vel d’Hiv par le Président Chirac.
Gageons que l’avenir apporte à l’Arménie la paix intérieure et la reconnaissance que son peuple recherche depuis cent ans et puisse le message de fraternité que nous lui adressons rendre à chacun de ses membres, vivants et disparus, la lumière qu’il recherche.
J’ai dit.
Daniel KELLER