Discours de Daniel Keller, Grand Maître du Grand Orient de France, prononcé le 10 mai 2016 à l’occasion de l’hommage rendu au Panthéon à Victor Schœlcher par le GODF, dans le cadre la Journée commémorative de l’abolition de l’esclavage
Communiqués et discours | Publié le 19/05/2016 | émis le 10/05/2016
 
Journée commémorative de l’abolition de l’esclavage
Hommage à Victor Schœlcher au Panthéon
Le 10 mai 2016
 
 
 
Madame la Ministre, Chère Christiane Taubira,
Mes très chères Sœurs, mes très chers Frères,
 
Madame la Ministre c’est un honneur de rendre hommage en ce 10 mai à la mémoire de Victor Schœlcher en votre présence. Mais c’est aussi un moment de grande émotion pour l’ensemble des Francs-maçons qui se sont rassemblés dans cette circonstance, qu’il s’agisse de la Respectable Loge « La Clémente Amitié » dont la bannière figure à mes côtés, et dans laquelle Victor Schœlcher travailla, des Loges qui ont pris le nom de Schœlcher, sans oublier nos Frères et Sœurs des Antilles, de la Réunion, de tous les départements d’Outre mer, y compris celles et ceux qui travaillent à l’Orient de Schœlcher, non loin de cette belle ville de Fort-de-France où la clémence des alizés donne parfois le sentiment que le temps suspend son vol.
 
C’est aussi une émotion profonde pour moi-même car je n’ai pas oublié les circonstances dans lesquelles vous avez répondu à notre invitation, le 17 décembre 2013, à un moment où la République, à laquelle nous sommes tous tant attachés, tanguait sous des cris et des accusations indignes de son histoire et des hommes et des femmes qui comme vous qui en portent les valeurs et les idéaux.
 
Je n’ai pas oublié cette soirée dans notre grand Temple du Grand Orient de France où vous avez eu la grandeur d’âme de donner une leçon de République qui devrait encore aujourd’hui être dispensée dans toutes les écoles de notre pays.
 
En commémorant en ce jour l’abolition de l’esclavage, le Grand Orient de France, comme chaque année, s’incline devant la sépulture de Victor Schœlcher, ce Franc-maçon qui, 123 ans après son décès, reste un des grands héros de la République, comme vous l’avez rappelé. Reconnaissance, faut-il le rappeler, que la République elle-même lui témoigna lorsqu’elle décida de transférer sa dépouille en ce lieu même le 20 mai 1949.
 
Schœlcher était un rentier, fils de commerçant, que rien ne prédisposait à priori à embrasser le combat contre l’esclavagisme. C’est à la suite d’un voyage aux Antilles en 1830 qu’il devint peu à peu abolitionniste. Ce n’est en effet qu’en 1840 qu’il décida de proposer définitivement l’abolition, abolition qui, dans le meilleur des cas, jusque-là restait encore le parti pris d’une petite minorité. Le plus souvent, on ne parlait d’ailleurs que d’abolition progressive lorsque l’on voulait manifester son esprit progressiste car on considérait alors que la servitude avait couvert de tant de vices les esclaves, qu’elle empêchait leur affranchissement sans conditions.
 
Si Schœlcher en vint à radicaliser son point de vue pour militer en faveur d’une abolition sans délai ni transition, c’est en raison de l’humanisme qui était le sien, pas un humanisme abstrait, mais un humanisme qui exprimait avant tout une foi en l’homme, une foi d’autant plus forte et résolue que Schœlcher n’hésita pas par ailleurs à revendiquer haut et fort son athéisme, au risque de choquer certains de ses contemporains.
 
« La liberté d’un homme est une parcelle de la liberté universelle », écrivit-il. Voilà une affirmation digne du Franc-maçon qu’il était. La formule exprime cet universalisme au nom duquel il ne peut y avoir de société respectueuse de la dignité humaine dont vous avez parlé, Madame la Ministre, sans égalité entre les hommes, entre tous les hommes.
 
Et Schœlcher d’ajouter dans le prolongement de cette pensée: « Si les nègres font partie de l’humanité, ils ne nous appartiennent plus, ils sont donc nos égaux ».
 
C’est cet humanisme qui conduisit à affirmer dans le décret du 27 avril 1848 abolissant l’esclavage que celui-ci était un attentat contre la dignité humaine. On dirait aujourd’hui que l’esclavage fut en réalité un crime contre l’humanité.
 
L’humanisme de Schœlcher trouvera un prolongement dans son combat contre la peine de mort, vous l’avez rappelé, Madame la Ministre, pour l’instruction publique laïque, gratuite et obligatoire, pour le suffrage universel, mais aussi pour l’instauration d’un régime de libres assemblées locales outre mer, combats qui font aussi de lui, ce qui est moins su, vous l’avez souligné, un des pères fondateurs de notre République. N’en déplaise à Blanqui, cet autre grand républicain qui reprochait à Schœlcher de ne point avoir de clous à ses semelles, autrement dit d’être un bourgeois.
 
Au-delà de l’affranchissement des esclaves, Schœlcher lutta aussi pour permettre à ceux-ci de fonder une famille, de bâtir une maison, d’avoir une exploitation, en somme de vivre une vie plus heureuse. L’assimilation juridique devait être en effet le creuset d’une intégration économique et sociale. C’est en cela que Schœlcher fut avant tout un progressiste mu par un élan qui dépassait un simple mouvement de compassion légitime.
 
L’œuvre de Schœlcher est aussi celle d’un Maçon qui prolongea l’engagement d’autres Maçons. Je pense notamment aux membres de la Société des amis des noirs, laquelle prépara la première abolition de l’esclavage en 1794 et parmi eux nous trouvions le Frère Étienne de Joly qui deviendra ensuite un dignitaire du Grand Orient de France.
 
C’est le rôle de la Franc-maçonnerie de savoir sans relâche se mobilier contre les atteintes à la dignité humaine. Ce message qui nous vient du passé doit nous montrer le chemin à venir, sans jamais oublier qu’en œuvrant au bénéfice des plus faibles et des plus démunis, au bénéfice de l’ensemble des damnés de la terre, on œuvre en réalité à l’amélioration de l’humanité.
 
Ce message que Victor Schœlcher nous a légués garde toute son actualité, dans un monde où effectivement se mêlent et se brassent encore, de façon parfois un peu confuse, le meilleur et le pire.
 
Merci de votre attention.
 
Daniel Keller