Douce guerre

À quelques jours de la fin du périple, on veut reprendre son souffle, oublier ce « sale conflit » en ânonnant ses onze noms. En pure perte, les facéties des uns, les provocations des autres, les attaques qui vont, jour après jour, crescendo, tiennent lieu de « discours amoureux » à la nation hésitante.
Puis, il y a les meetings retransmis par les chaînes d’information : les soutiens s’y pressent, s’excitent et transpirent. Ils sont une forme nouvelle de la télé-réalité politique. Tout y est subtilement indécent… Pourtant, nous les regardons d’un œil : il ne faudrait pas nous mettre en retard d’une embuscade ou d’une guerre. Il faut aussi compter avec ces drapeaux tricolores, vendus au concert de « l’idole du peuple », nous disant : « N’ayez crainte, nous sommes bien en France ». Nous pourrions, en effet, être en Espagne de Rajoy, au Royaume-Uni de May, en Bolivie de Maduro, en Allemagne de Merkel, et pourquoi pas sur Mars...
Un jour pousse l’autre, et la nuit se désire. Quand le coq (ou l’âne) nous tire du sommeil, les sondages nous assaillent. Je crains, du reste, qu’ils ne nous laissent pas souffler, et regarder le paysage de nos escapades bienfaitrices.
D’aucuns m’ont fait le reproche de ne pas prendre partie. Je ferai mon devoir électoral les 23 avril et 7 mai prochains. D’autres m’ont suspecté de rouler pour un des membres de la « bande des quatre », pour reprendre une vieille lune maoïste.
La douce guerre civile française ! On nous presse de choisir notre camp, « còsta que còsta » (1) ! On a même, dans ce dessein, convoqué l’histoire de France et de Navarre. Bien sûr, les dangers sont réels : le retour d’un succédané du régime de Vichy, par exemple. Mais, que reste-t-il de nos tranquillités ? Je sais, c’est obsessionnel. Ai revu les dernières minutes de Mulholland Drive, et me suis redit que le mystère qui traverse, de bout en bout, le chef d’œuvre de Lynch, était encore et toujours total ; ai fini “Comme les amours”, l’étrange roman de Javier Marías, où l’être aimé, brusquement disparu, agite la mémoire d’une veuve qui ne sait plus à quel souvenir douloureux se vouer. Comme nous, peut-être ?

SJ

1. Coûte que coûte.
2.  Folio, 6236.

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